Partie 3 Enfer à domicile

Episode 7 : Et le miroir se brisa   Retour sommaire Enfer à domicile

Nara regardait depuis les coulisses l'enregistrement en direct d'une émission de télévision devant un public de jeunes demoiselles extatiques.

En trois heures, Hu Jun Ji avait enfilé une casquette de fourrure rose avec des oreilles de chien, ingurgité des gâteaux à la crème proposés par une fan, avait dansé avec deux d'entre elles, fait des petits cœurs avec ses doigts, lu un conte pour enfant, plaisanté gentiment avec sa partenaire et avait traversé le plateau trois fois en portant une petite fille sur son dos.

-Difficile de croire qu'il a horreur des enfants et des animaux, grogna la jeune fille. C'est vraiment un super acteur... S'il était moitié aussi convainquant dans ses dramas, il bosserait déjà à Hollywood.

-C'est votre petit ami?

Nara sursauta: elle s'était trouvé un petit coin sombre à l'écart, jamais elle n'aurait pu imaginer qu'il était occupé.

-Lui? Vous plaisantez! Je...

Elle s'interrompit. Un rayon de lumière venait d'illuminer le visage de l'homme.

Trente-cinq ans , hyper séduisant et totalement reconnaissable...

-Roe Min Jin!

-Vous me connaissez ?

-Vous plaisantez? Tout le monde vous connaît! Quand on a cru que vous étiez gai, vous avez lancé une dépression planétaire l'année dernière!

-Planétaire est un peu excessif...

-C'est vrai, vous avez fait un bide en Antactique...

Roe Min Jin sourit:

-Vous voyez ? Vous vous occupez donc de Hu Jun Ji , si j'ai bien compris... Vous êtes sa secrétaire?

-Nous avons une relation très compliquée...J'ai failli le tuer alors je culpabilise...

Le jeune homme hocha la tête avec un rictus ironique:

-Le tuer? Je confirme, c'est bien une relation compliquée.

-Je ne l'ai pas fait exprès! Mais si vous le connaissiez, il est tellement...

-C'est un dents blanches.

Nara regarda son interlocuteur avec stupeur:

-Vous aussi vous le prenez pour un requin?

-J'ai eu l'occasion de faire un duo avec lui , il y a trois ans... Il est jeune, il sort de l'école et rêve de prendre ma place...

-Ne vous inquiétez pas! Il n'y arrivera pas! Vous avez du talent et de la présence! Rien qui le concerne!

La star sourit:

-Bien sûr qu'il y arrivera... Je n'étais pas mieux quand j'ai démarré, il y a 10 ans et c'est tant mieux, je meurs d'envie de pouvoir ressortir de chez moi en plein jour...

-C'est pas vrai.

-Comment cela?

-Je lis dans vos yeux que cela vous ennuierait beaucoup.

-Tout le monde a peur d'être oubliée et remplacée mais si je devais l'être, ce qui m'ennuie...

-C'est quoi ?

Roe Min Jin secoua la tête:

-Je me demande bien pourquoi je vous raconte tout cela...

-parce que je suis hyper sympathique?

Le jeune homme retrouva le sourire:

-Parce que lui ne l'est pas.

Nara comprit soudain:

-C'est comme chez Dwe Dang.

-Quoi?

-C'est un restaurant près de chez moi. Ils y servent les meilleurs bibimbaps de Corée... C'est tenu par un copain...

-Et?

-Il est toujours bondé alors quand on a fini, on nous demande de partir pour laisser la place aux clients qui attendent sur le trottoir... En général, quand on laisse la table à quelqu'un d'autre, on a droit à un "merci" et un gentil sourire mais l'année dernière, quand je me suis levée, une femme affreuse est arrivée. Elle m'a dit "C'est pas trop tôt! Vous ne pouviez pas allez plus vite?" et elle s'est vite assise à ma place. Et du coup, je me suis sentie blessée et j'ai eu l'impression...

-Que vous ne lui aviez pas laissé votre place mais qu'elle venait de vous la prendre.

Nara sursauta:

-C'est exactement ça. Mais c'est bizarre qu'une grande star comme vous ait peur qu'on lui prenne sa place...

-Tout le monde a peur. Personne n'est à l'abri.

-Vous, oui! Vous n'avez plus rien à prouver?

-Savez-vous combien de jeunes idoles sortent chaque année ?

-Euh... 10?

-67. Et je ne compte que ceux qui sont en agence. Et vous savez quel est leur point commun?

-Ils aiment la musique?

-Ils sont jeunes, beau et talentueux. On peut très vite être remplacé.

-Celui qui va vous remplacer n'est pas encore né. Déjà, du côté de cet imbécile, vous êtes tranquille: il n'a aucun talent et pas ma moindre intelligence.

Roe Min Jin hocha la tête:

-Je ne suis pas d'accord.

-Pourquoi?

-Vous veillez depuis trois heures sur un garçon que vous détestez au point de le tuer : il m'a l'air, sinon très intelligent, très manipulateur.

Nara ressentit le ridicule de sa situation et rougit.

Roe Min Jin se leva:

-C'est mon tour. Désolé pour cette discussion déprimante: je suis de meilleure humeur d'habitude... Un conseil: demandez-vous si vos raisons de rester sont bonnes... et si elles ne le sont pas, allez-vous-en.

 

***

 

"Pause publicitaire"!

Nara se leva pour rejoindra machinalement les loges des artistes. Roe Min Jin n'avait pas tort sur ce coup-là : il la manipulait complètement.

-Mais s'il meurt, il est vrai que tu t'en voudras toute ta vie donc il n'a pas à te manipuler beaucoup!

Elle repéra Hu Jun Ji qui se démaquillait devant un miroir.

-Pourquoi tu te démaquilles en pleine émission?

-Pourquoi tu ne frappes jamais?

-Je ne comprends vraiment pas cette manie de passer sa vie à se repoudrer le nez.

-Si tu la comprenez, tu serais peut-être un peu moins tarte... quoique... mission impossible.

-Pourquoi, tu vas me dire qu'il n'y a pas assez de maquillage dans le monde pour cacher ma laideur?

-Pour maquiller correctement quelque chose, il faut trouver ce que l'on peut mettre en valeur. C'est la base. Chez toi, il n'y rien à sauver.

-Le cerveau. Dommage que le tien soit parti en même temps que l'eau de rinçage de tes dernières perms...

-Tout le monde n'a pas la chance d'être né avec une coiffure indémodable pareille.

Nara jeta malgré elle un regard à sa crinière léonine de feu. Entre ça, ses yeux clairs et ses tâches de rousseur... Elle s'était souvent dit que Dieu avait dû se tromper lorsqu'il avait sorti ses crayons de couleur lors de sa conception.

Son père lui répétait:

-Tu es une vraie coréenne... D'ailleurs tu as les mêmes traits que ta grand-mère... mais pour les couleurs, tu as pris de ta mère... et ce sont les plus belles que tu pouvais avoir...

Un père coréen et une mère irlandaise... Des enfants métissés, il y en avait des tonnes ... Des résultats harmonieux et époustouflants...

-Parfois, il arrive qu'un mélange inattendu soit source d'une grande saveur... lui répétait toujours son père.

-Mouais... Eh bien, il y a des trucs qui ne se mélangent pas du tout. Autant faire un bibimbap avec de la glace à la fraise...

Son regard retomba sur Hu Jun Ji qui la regardait, narquois.

-Pourvu qu'il ne lise pas mes pensées! Il serait trop content de pouvoir confirmer que je ne ressemble à rien!"

Mais Hu Jun Ji ne la regardait plus. Par la porte de la loge, entrebâillée , on pouvait voir les écrans de la salle de contrôle plongée dans l'obscurité.

Hu Jun Ji se leva péniblement et s'approcha du gardien qui visionnait les vidéos.

-Excusez-moi, pourriez-vous rétablir le son de la vidéo de la caméra 2 ?

L'homme sursauta:

-Ça ne va pas? Je n'ai pas le droit de faire ça.

-Votre conscience s'arrête à quel prix? jeta Hu Jun Ji excédé sans quitter l'écran des yeux.

Nara suivit son regard et elle sursauta: Jia Hara enlaçait tendrement Gun.

-Je ne vous permets pas ! jeta l'homme, excédé.

-Okay. Ne me montrez rien mais soyez sûr que si je rate cette conversation par votre faute, je laisserai échapper que vous me l'avez montrée et vous serez renvoyé.

-Mais... ce sera un mensonge!

-Montrez-la moi, je ne dirai rien et je ne serai pas obligé de mentir.

L'homme s'exécuta, la rage au cœur mais déjà Hu Jun Ji n'écoutait plus, pris dans la discussion entre sa copine et son meilleur ami.

Jia Hara riait:

-Gun! Lâche-moi!

-Pourquoi ça? Tu ne disais pas ça la semaine dernière?

-J'avais le champ libre la semaine dernière...

-Et pourquoi pas aujourd'hui?

-Es-tu stupide ? Je pensais comme tout le monde qu'il allait mourir.

-Et alors ?

-Je ne vois pas en quoi un mort peut faire avancer ma carrière! On joue les veuves éplorées et au bout de quelques mois, on est reléguée au rang des ringardes ! Et le noir ne me va pas!

-Mais tu n'es même pas avec lui, officiellement! C'est bien à ça que sert l'horreur qu'il a embauché!

-Tu es naïf, ma parole! Ce n'est pas officiel, donc si je romps avec lui, personne ne m'en voudra mais officieusement, des photos de lui et moi circulent partout et sa notoriété amplifie la mienne! Je pensais vraiment que c'était fini quand il a décidé de se pendre, c'est pour ça que j'ai accepté de sortir avec toi.

Gun rougit de colère:

"Alors tu m'as promené?

-Mais non! Mais je ne veux être qu'avec un Winner. Et je sais que tu en es un.

Gun grogna:

-Dire qu'à deux jours près, on me donnait son rôle et on retournait tous les épisodes avec moi dans le rôle principal! Mais non, il a fallu que monsieur se réveille..."

Nara sentit son cœur se serrer d'inquiétude et d'une sournoise pitié en croisant le regard désespéré de Hu jun Ji. Un regard d'une tristesse infinie.

Elle lui tendit gauchement un comprimé:

-Je crois que tu en as besoin, là.

Hu Jun Ji prit machinalement le cachet et l'avala sans quitter l'écran des yeux.

Nara sentit que si elle avait voulu se venger, le détruire était facile. Et mesquin.

Elle soupira:

-Je suis désolée.

Hu Jun Ji sortit de sa torpeur:

-De quoi, la mocheté? Tu crois que j'ai besoin de ta pitié?

Nara ne répondit pas mais désigna l'écran:

-Ton meilleur ami et ta copine attendent ta mort pour prendre ta place. Alors si tu veux te défouler sur moi, vas-y. Je pense que personne ne mérite de garder ça pour lui, même pas toi. Alors, crie, hurle et insulte-moi, je ne suis plus à ça près.

Hu Jun Ji parut soudain très fatigué:

-Tire-toi.

-Mais...

-Tu étais là pour faire diversion et que je puisse voir Jia Hara ... Il n'y a plus de Jia Hara, je n'ai plus besoin de toi. Tu m'as dit que les vidéos étaient détruites, tu peux t'en aller.

-Non.

-Tu es idiote ou quoi? Tu veux de l'argent? Je te paye les six prochains mois à l'hôtel. Tu pourras finir ta fichue thèse !

Nara se révolta:

-Et comme ça, tu pourras te suicider et ne plus rater ton coup, cette fois?

-Et après?

Nara se demanda effectivement ce que cela pouvait lui faire: s'il était suicidaire, ce n'était pas sa faute. Mais elle ne pouvait se résoudre à le laisser seul dans un moment pareil.

-Ce serait de la non assistance à personne en danger... Rappelle-toi, Oncle Wen avait ramassé un serpent sur le chemin... Et il, se fichait de savoir s'il était hideux ou dangereux...

Hu Jun Ji s'était rassis devant son miroir et se démaquillait mécaniquement.

-Je reste, dit Nara. Si tu devais mourir par ma faute...

Elle s'interrompit devant le regard d'une infinie tristesse qui lui faisait face:

-Tu es débile, hein? demanda doucement Hu Jun Ji. Tu as gobé cette histoire de culpabilité comme un rien.

-Je me sens coupable!

-Je n'ai pas essayé de me pendre à cause de toi ! Je n'ai pas voulu me suicider!

Nara resta interloquée:

-Quoi?

-Je n'ai pas voulu me suicider, reprit Hu Jun Ji d'une voix sourde. Lorsque j'ai vu la réaction allergique de folie sur mon visage, je me suis affolé...

-Tu ne supportes pas à ce point de ne pas être le plus beau un quart de seconde...?

Hu Jun Ji secoua la tête:

-Tu ne comprends donc rien... ? Une trace sur mon visage pour plusieurs jours, cela signifiait arrêt du tournage, remplacement par un autre et fin de l'histoire, retour à l'anonymat.

-Et après? C'est pas si mal de vivre comme monsieur tout le monde...

-L'année où tu m'as rencontré, j'avais treize ans. J'ai arrêté mes études quand j'ai quitté le collège...pour travailler la scène douze heures par jour. Je ne sais rien faire d'autre: si ma carrière s'arrête, c'est ma vie qui s'arrête avec elle.

-Alors tu as pris le risque de l'arrêter pour de bon.

-Si je survivais, ils attendraient pour me virer car remplacer un homme en train de mourir, cela fait mauvais effet auprès des fans.

-Tu savais qu'ils allaient te remplacer?

-oui.

-Et que Jia hara et Gun...

-Je savais qu'elle allait en chercher un autre... J'aurais préféré que ce ne soit pas Gun.

-Pourquoi tu me dis tout ça?

-Tu n'as rien à voir , rien à faire dans ma vie, alors, va t-en.

-Si tu es sincère, je m'en irai.

-Pose tes questions, je répondrai.

-Tu savais n'est-ce pas?

-Quoi?

-Les photos officieuses qui tournaient sur le net... Toi et Jia Hara...

-Oui.

-Alors pourquoi avoir dit aux autres que je servais à faire diversion?

Hu Jun Ji eut un regard las:

-Parce que si ils avaient appris que tu me faisais chanter pour harcèlement, ils auraient pris les devants et aurait vendu le scoop à la presse.

Nara le regarda, incrédule:

-On parle de ta copine et de ton meilleur ami...

-Ceux qui étaient désolés que je ne sois pas mort?

Nara sentit que la pitié sournoise qui s'insinuait en elle depuis vingt minutes était en train de l'envahir par cataracte. Réagir ou couler. Ce type était un monstre.

-il a essayé de te noyer! Il t'a humiliée et détruite...

-J'ai répondu. Va t-en maintenant. Tu as ma carte bleue en poche: sers t-en pour trouver un hôtel.

-Dernière question.

-On a dit une question!

-Je n'ai rien dit de tel.

-A prendre ou à laisser...

-Vas-y.

-J'ai détruit les vidéos alors pourquoi avoir voulu que je reste ?

Hu Jun Ji eut un sourire triste:

-Tu m'as téléphoné tous les jours, plusieurs fois par jour pendant plus d'un mois et rien ne t'a choquée?

-Non, quoi ?

-Cinq appels pour m'annoncer une inondation, la vente de mes affaires, le détournement de ma carte bleue...et pas une fois tu ne t'es demandée pourquoi je décrochais?

Nara resta silencieuse.

-Parce que personne d'autre n'appelait, jeta Hu Jun Ji. Va t-en maintenant.

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