Partie 2 Enfer à domicile

Retour sommaire Enfer à domicile

Cela faisait un mois que Nara était hébergé par Hu Jun Ji si l'on pouvait qualifier d'hébergement ce corps à corps épuisant qui attendait la défaite de l'adversaire.

Mais le combat s'éternisait : à peine un des protagonistes était-il à terre qu'il se relevait tel l'hydre de Lerne qui puisait ses forces dans le sol.

Nara avait raillé le manque d'imagination de Hu Jun Ji mais elle devait bien admettre qu'elle aussi commençait à tourner en rond:

factures exorbitantes, insultes, coups de fils inopinés, sinistres immobiliers en cascades au sens propre et figuré...

De son côté, Hu Jun Ji ne se montrait pas avare de remarques cinglantes et d'attaques verbales pour le moins blessantes.

Les deux adversaires se jaugeaient mais ne se jetaient plus forcément à la gorge l'un de l'autre, s'observant pour mieux trouver la faille.

Comme à cet instant où ils étaient assis de part et d'autre de la grande table de verre de la salle à manger.

Nara venait de poser sa serviette:

-Tu es tenu de m'offrir le gîte et le couvert d'après notre contrat.

-C'est ce que je fais, remarqua ironiquement son hôte. Tu n'aimes pas?

-Une feuille de salade?

-Souviens-toi que j'adore ça, je suis une tortue Ninja.

-Même pas. Les tortues Ninjas se nourrissent de pizzas. On devrait commander des pizzas.

-Certainement pas.

-Alors, je commande des pizzas et je vais les manger dans ma chambre.

-Je ne vais pas empuantir ma maison d'odeur de ce genre pour te faire plaisir. Tu veux manger? Va faire un tour au resto du coin et libère-moi de ta présence.

-Avec quel argent ?

-La carte bancaire que tu gardes dans ta poche et qui m'a permis d'avoir la bonne surprise de trouver douze centrifugeuses devant ma porte ce matin devrait suffire.

Nara leva les yeux au ciel, croisant l'air contrit de Hatori qui voulait clairement dire :

-Là, il marque un point.

-Bon... Mais ne crois pas que je vais me contenter d'une pizza...

-Tu peux y aller...

-Tu as l'air bien pressé de te débarrasser de moi...?

-Jia Hara arrive alors ce serait bien que tu détournes l'attention des journalistes. Après tout, tu ne sers qu'à ça... Je lui ai acheté le même manteau que le tien...

Des claquements de talons aiguilles devant la porte. Une pression sur la poignée.

Jia Hara fit son apparition:

-Elle est pas encore partie, celle-là?

Hu Jun Ji sourit:

-Si on vous avait vues ensemble, ça aurait fait raccord...

-Il n'y a pas que ça qui fait raccord, marmonna Nara.

-Qu'est-ce qu'elle raconte encore, la mocheté?

Nara secoua la tête:

-Puis-je me permettre de vous suggérer quelques synonymes supplémentaires qui pourraient joliment enrichir votre répertoire lexical et réinsérer un peu de vitalité dans vos désignations peu flatteuses? Elles gagneraient en précision et seraient donc plus percutantes.

-Elle dit quoi, la...?

Nara soupira:

-Ce n'est pourtant pas le choix qui manque. Façon Cendrillon: le laideron, la souillon... Façon Frankestein : cette hideuse créature? Façon conte de fées: Cette sorcière?

Jia Hara rougit de colère:

-Hu Jun Ji, tu pourrais la faire taire? Pourquoi tu ne la mets pas dehors?

-Je te l'ai dit, elle nous assure la tranquillité...

-Sûr que la tranquillité est hors de prix, cette année, jeta légèrement Nara. Bon... Je vous laisse: j'ai trois restaurants chics à dévaliser...

Ji Hara se redressa avec dédain:

-Pas avant que vous m'ayez dit ce que vous vouliez dire par raccord?

-Je voulais dire qu'ils auraient dû faire plus attention quand ils ont fait votre lifting: il y a une bande blanche dans votre cou.

Elle sourit en voyant Ji Hara porter machinalement sa main à son cou.

-Passez un bon après-midi!

La porte claqua violemment.

Hu Jun Ji attrapa une bouteille de champagne:

-Enfin seuls...

-Ça ne peut plus durer! Cette fille est horrible!

-Je suis bien d'accord mais la presse nous fiche une paix royale!

-Tu pourrais la remettre à sa place plus souvent...!

Hu Jun Ji soupira discrètement: il n'arrêtait pas de la remettre à sa place. Le jour, la nuit, au petit déjeuner et au dîner..S'il n'y avait pas eu ces maudites vidéos...


 

***

Nara vida son verre discrètement. Encore une soirée de "karaoké" chez son hôte: des invités prestigieux complètement beurrés, des filles dans chaque recoin, des tendres tête-à-tête aquatiques dans toutes les pièces...

-Au moins, je sais à quoi servent les piscines...

Hu Jun Ji allait de l'un à l'autre, embrassant une fille ou une autre, saluant un ami .. Le retour du roi du collège.

A l'écart de la fête, Nara rêvassait à ce qu'elle ferait, sa bourse en poche.

Un bruissement lui fit tourner la tête : Lyu Hun Gu, un ami de Hu Jun Ji était là, près d'elle.

-Je peux m'asseoir? demanda t-il gentiment.

Nara désigna une chaise:

-Allez-y.

-C'est une belle soirée...

-Si vous le dites...

-Ça vous dirait de danser?

-Je ne sais pas danser.

-Je vous y aiderai...

-Non, merci...

-Juste une ...

-Je n'y tiens pas...

-Je dois vous dire que je n'aime pas la fréquentation, ce soir. La plupart des filles de cette fête sont là pour me mettre le grappin dessus... Vous ne paraissez pas comme elle... Un moment de sincérité serait une éclaircie dans ce quotidien d'hypocrisie...

Nara regarda la main tendue : la dernière fois qu'elle avait dansé, c'était avec son père... Si elle fermait les yeux, elle pourrait peut-être se retrouver à cette époque par la pensée...

Elle suivit Lyu Hun Gu sur la piste. Il dansait doucement et bien . Elle ferma les yeux et se laissa porter par la musique...


 

Soudain, Lyu Hun Gu lâcha sa main et attrapa celle d'une fille toute proche.

A ce moment, un coup de projecteur illumina Nara, seule sur la piste, les bras ballants.

La voix de Hu Jun Gu retentit dans les hauts parleurs:

-Bonsoir à tous, je voulais vous présenter Pyon Nara, la fille la plus moche que j'ai jamais croisée... Mais Nara ne se décourage pas et continue à s'incruster sur les pistes de danse, attendant que l'obscurité lui permette de mettre la main sur un beau prince ...

L'assistance éclata de rire.

Eveillée en sursaut de son rêve, Nara sentit les moqueries la frapper en plein cœur.

Il lui semblait être revenue sept ans en arrière.

Un invité éméché la prit par le poignet:

-Moi, je veux bien lui faire son affaire, si vous éteignez la lumière...

-Après tout, surenchérit un autre, c'est comme les baudroies: si on regarde pas la tête, c'est délicieux...

Des éclats de rire se firent entendre.

Désespérée, Nara s'enfuit.

Elle avait pensé que cette époque de sa vie était révolue et que Hu Jun Ji ne pourrait plus l'atteindre. Elle s'était lourdement trompée.


 

***

Cela faisait une semaine que Nara ne se montrait plus.

Jia Hara était ravie:

-Enfin tranquilles ! Qu'est-ce que tu lui as fait?

Hu Jun Ji sourit:

-J'ai remis les pendules à l'heure... Un peu de caviar?

Gun sourit:

-Tu crois qu'elle va baisser les bras?

-Je ne vois pas ce qu'elle pourrait faire d'autre...

***

Hatori, désolé, regardait Nara recroquevillée dans un coin du salon.

-Je suis navré, mademoiselle. J'aurais dû vous prévenir que monsieur n'était pas toujours très correct...Vous allez partir?

Nara sursauta. Non, il ne s'en sortirait pas à si bon compte!

Elle releva la tête avec défi, oubliant que ses yeux étaient remplis de larmes:

-Vous plaisantez? Il peut me tuer si le cœur lui en dit: à la rue ou pas, je vais lui faire payer. Qu'est-ce que monsieur aime plus que tout ?

-Son dressing?

-Sa beauté... Je vais frapper où ça fait mal...

L'homme sourit:

-En dessous de la ceinture ?

-Beaucoup plus haut, Hatori. Beaucoup plus haut...

***

Deux heures du matin. Hu Jun Ji poussa la porte. Nara sourit: elle savait très exactement ce qu'il allait faire: foncer dans la salle de bain pour se faire un masque de nuit avec sa crème hors de prix.

Avec ça, il allait passer les trois prochains jours en enfer...

-Comment faire pour démolir un acteur maniéré et prétentieux ? Introduisez quelques gouttes d'huile de noix dans son produit cosmétique favori. Bien entendu, ne marche qu'avec les types maniérés, prétentieux ET allergiques aux noix.

Un bruit sourd et un hurlement.

Nara sourit. Bien fait pour lui.

Elle attendit qu'il sorte de la salle de bain avec sa joue boursouflée pour lui jeter une réplique bien sentie vingt fois répétée.

Il ne sortait pas.

Elle alla à la salle de bains : Hu Jun Ji, recroquevillé par terre, pleurait silencieusement.

-Tiens? On s'est fait un bobo sur la joue? Je rêve: il est en train de pleurer comme un bébé parce qu'il a une joue rouge?

Hu Jun Gi ne répondit pas.

-Tu la joues gros dur mais une petite rougeur et tu te mets dans tous tes états? Je me demande ce que diraient tes fans si elles te voyaient comme ça? Je devrais peut-être te prendre en photo?

Hu Jun Gi ne l'écoutait pas. Les sanglots étaient de plus en plus saccadés et la respiration exceptionnellement rapide.

Nara cessa de sourire: le moment de détresse faisant suite à une blague rigolote venait de céder la place à une crise de panique accompagnée d'hyper ventilation.

Les yeux de Hu Jun Ji se révulsèrent.

Nara prit son pouls et sentit le sien s'emballer:

-C'est pas vrai! Tu ne vas quand même pas me faire une crise cardiaque pour une réaction de rien du tout !

Elle ouvrit le col de Hu Jun Ji, Il était d'une pâleur mortelle à présent, à bout de souffle.

-Ça va... On se calme... On appelle les secours...

Hu Jun Ji sursauta et rassembla toutes ses forces:

-Non!

-Tu es fou ? Tu as besoin d'un médecin!

-Je ne veux pas qu'on me voit comme ça!

-Tu risques de mourir!

Elle entendit à grand peine la dernière phrase prononcée d'une voix faible :

-Plutôt mourir que d'être vu comme ça. Je ne veux pas...Je ne veux pas... Ça ne va jamais partir...

Jamais Nara n'avait vu une terreur pareille:

-Mais oui... On va déjà l'enlever au maximum... avec de l'eau claire et du savon... Et bien rincer... Ça va aller mieux...

-Ça ne va pas partir...

-Mais oui... On se détend et on respire doucement... On inspire... On expire... Voilà, c'est mieux...

La respiration s'apaisait. On avait évité le pire.

Nara jeta un coup d’œil à son persécuteur, qui, épuisé par l'effort, venait de s'endormir sur le carrelage de marbre d'Italie.

-Avoir plus peur d'une petite boursouflure que de mourir... Décidément, ça se confirme de jour en jour... Il est complètement à côté de la plaque...

***

Chapitre 6 : Le fardeau


 


 


 

Le soleil était déjà haut lorsque Nara s'éveilla. Elle s'étira et replaça la couverture sous le canapé comme elle le faisait tous les matins.

Une belle journée en perspective.

Elle avait peut-être un peu exagéré la veille: Hu Jun Ji était passé à deux doigts de la syncope...

-Il avait une rougeur sur la joue! Il ne faut pas exagérer...

Elle attrapa sa serviette et se dirigea vers le dressing.

La panique la submergea:

-Hatoriiiii!!!!

Le majordome arriva au pas de course et resta pétrifié devant le corps de son patron se balançant à deux mètres du sol.

Il secoua la tête, l'air dépité:

-J'ai toujours dit que ces placards étaient beaucoup trop hauts...

***

L'ambulance filait à toute vitesse. Nara, assise près de la civière d'un Hu Jun Ji blafard et inconscient donnait libre cours à sa colère, remède médiocre qui ne masquait que très partiellement son inquiétude.

-Pas possible d'être aussi maniéré! Tu auras passé ton temps à me pourrir la vie! Tu ne vas pas rester dans cet état pour une petite blague de rien du tout!

La voiture s'arrêta et trois hommes emportèrent la civière en courant.

Nara, désemparée, suivit la direction avant de se laisser tomber à bout de force sur une banquette près de l'accueil .

-Allons... Respire ma fille... Il a encore trouvé le moyen de se rendre intéressant...

Cela faisait plus de trois heures qu'ils l'avaient emporté.

-Bon... Lui qui est fan de drama, il serait ravi... Le classique de la fille qui attend dans la salle d'attente en se demandant si son bien-aimé va s'en sortir... Sauf que ce n'est pas mon bien-aimé ... Je le déteste... Et c'est bien mieux comme ça... Qu'il y a t-il de pire que de perdre celui qu'on aime? Avoir assassiné celui qu'on déteste... S'il meurt, je serai une meurtrière!

Elle s'interrompit: un médecin arrivait vers elle.

Elle se leva brusquement:

-Avez-vous des nouvelles de Hu Jun Ji ?

L'homme la regarda d'un air suspicieux:

-Vous êtes...?

-Celle qui l'a assass... assisté dans sa vie publique. Je suis sa secrétaire...

-Je suis désolé mais si vous n'êtes pas de sa famille...

-et sa cousine.... On cumule beaucoup, vous savez... Sa mère qui est aussi ma tante dirige son agence ... et son père est aussi son producteur...Comment va t--il?

Le médecin hésita avant de se décider:

-Le patient a été privé d'oxygène pendant un très long moment mais a pu être pris en charge avant que cela soit forcément fatal...

-Donc, il va bien?

-L'anoxie tissulaire dont il souffre met le cœur à rude épreuve...

-Mais il s'en est remis?

-et l'anoxie cérébrale vient de le plonger dans le coma.

Nara s'assit, démoralisée.

-Donc?

-On ne sait pas s'il va se réveiller et surtout pas dans quel état.


 

***


 

Nara regardait Hu Jun Ji qui reposait toujours sur son lit, branché à un respirateur particulièrement invasif.

-Et dire que je trouvais que me noyer dans une piscine était le summum de la torture! Tu l'as fait exprès, hein? Pour me culpabiliser à mort? Sinon, tu m'expliques comment on peut se suicider pour une petite rougeur sur la joue? Tu es vraiment un timbré de première...!

Les jours et les nuits passaient de façon monotone.

-Bon, le bon côté, c'est que je suis hébergée quand même... Le mauvais, c'est que je n'arrive même plus à me concentrer sur ma thèse... Tu es vraiment le champion des casse-pieds...Tu as intérêt à te réveiller au plus vite sinon tu vas devenir squelettique et hyper moche... et si tu te réveilles, tu n'auras plus qu'à te suicider à nouveau...

-Toujours en train de lui parler?

Nara leva les yeux vers l'infirmière Gu Ji qui la regardait avec bienveillance.

-Je n'ai rien d'autre à faire, de toute manière...

-Vous pourriez aller faire un tour au lieu de rester ici... Je vous ai dit que je vous appellerai en cas de besoin....

-Je veux être là quand il se réveillera pour lui dire que je m'en vais et qu'il est le roi des abrutis!

L'infirmière eut un petit rire:

-C'est bien la première fois que j'entends de pareilles motivations... Pourtant j'aurais cru que ce jeune homme éveillait des sentiments plus... romantiques...

-Ça se voit que vous ne le connaissez pas... grommela Nara.

-Ne vous inquiétez pas trop... Il se réveillera et vous pourrez lui dire ce que vous avez sur le cœur. Quoi que ce soit...

***


 

Deux semaines déjà... Affalée dans son fauteuil collée au lit de Hu Jun Ji, Nara soupira :

-Qu'est-ce qu'il peut y avoir de pire que d'être collée ici?

-Que la première chose sur laquelle on pose les yeux soit aussi moche?

Hu Jun Ji la regardait d'un air épuisé mais goguenard.

Nara eut l'impression qu'une chape de plomb quittait ses épaules:

-Toujours vivant?

-Il semblerait. Je ne savais pas que ma survie te tenait à cœur à ce point.

-Je m'en contrefiche...

-Et tu squattes ma chambre parce que tu aimes la couleur des rideaux?

Nara se leva :

-Bon... Puisque tu vas bien...

-Où vas-tu?

-Tu es vivant? You-pi. J'arrête là: j'ai effacé tes vidéos alors bonne continuation et à jamais!

-Tu crois que le fait d'avoir effacé tes vidéos nous rend quitte?

-J'ai fait une petite plaisanterie, rien de plus.

-qui aurait pu me tuer...

-Tu n'es pas mort...

-Qu'est-ce que tu aurais fait si je l'étais?

-J'aurais sabré le champagne au bord d'une de tes piscines... Celle du cellier, je pense...

Hu Jun Ji haussa un sourcil:

-Pourquoi le cellier? Drôle d'idée...

-Me dit le type qui y a fait installer un bassin entre les clayettes de pommes Fuji et les yahourts nature. Je t'ai fait une petite niche, tu l'as mal pris, tu t'en es remis. Next.

-C'est ta faute si j'ai voulu mettre fin à mes jours.

-C'est la faute de ton égocentrisme et de ta stupidité.

-Il n'empêche que si tu ne m'avais pas fait ça, je n'aurais pas essayé de mourir. J'ai essayé par ta faute donc si je meurs, cela fait de toi un assassin.

-J'ai jamais voulu te tuer!

-Les homicides involontaires sont aussi punis que les autres! et c'était prémédité, en plus!

-Aucun juge ne gobera ça.

-Mais toi, oui. Ose me dire que tu ne te sentirais pas coupable si je passais de vie à trépas par ta faute?

-Je ne vois pas comment: tu t'es remis.

-Le docteur est passé tout-à-l'heure...

-Et il t 'a dit que tu avais un teint de bébé?

Le regard du jeune homme se fit grave mais le sourire persista:

-Non mais que mon cœur n'avait pas été irrigué au mieux ces deux dernières semaines...

-Et alors?

-ce qui allait me laisser de graves séquelles cardiaques...Traduction: à partir de maintenant, j'ai une chance sur deux de mourir d'un accident cardio-vasculaire. Et ce sera ta faute...

-Non, ce sera la faute d'un crétin qui n'a rien trouvé de mieux que d'aller se prendre pour une chemise parce qu'il avait été vexé par une petite blague de rien du tout...

-Le crétin avait un cœur en excellent état avant de te connaître...

-Je ne vois pas le rapport...

-Moi oui. La moindre des choses est que tu allèges un stress dont je m’accommodais très bien jusqu'à présent...

-En faisant quoi?

-Ce pour quoi tu es payée. Tu arrêtes tes mesquineries et autres blagues idiotes et tu fais en sorte que mes sorties romantiques se passent dans la sérénité la plus totale.

-Sinon?

-Tu vas finir l'année dans la rue et tu apprendras par les infos diffusées sur des télés en vitrine d'une boutique d'électroménager que je suis mort par ta faute.

Nara se redressa , piquée au vif:

-Je ne me sens absolument pas responsable de ce qui peut t'arriver!

-C'est pour cela que tu avais si peur que je ne me réveille pas?

-Je n'avais pas peur...

-J'ai parlé avec l'infirmière... Tu te sens coupable au dernier degré et ça tombe bien parce que tu l'es. A présent, tu seras la seule responsable de ce qui peut m'arriver.

-C'est même pas vrai.

-Bien sûr que si. Et le plus marrant, c'est que ce n'est pas moi qui te tient cette fois. Tu te tiens toute seule.

-Prends tes rêves pour des réalités: je me fiche de ce qui peut t'arriver!


 

***


 

Nara soupira: Mais que faisait-elle encore là?

Elle regardait Hu Jun Ji et sa pimbêche depuis deux heures , prête à sortir, tel un joker providentiel si un intrus arrivait.

Vous parliez d'une guigne! Non seulement elle n'osait plus rien tenter contre lui mais elle frémissait à chaque fois qu'il faisait un effort.

A 13 ans, sa hantise était de le voir apparaître devant elle. A 20 , elle était de le voir disparaître à cause d'elle.

Jia Hara, assise sur le canapé, la tête sur l'épaule de Hu Jun Ji la regarda avec amusement:

-Ça fait plaisir de voir que la mocheté a appris où était sa place ! De garce à chien de garde, le changement est flagrant!

Nara reporta son attention sur son livre de lecture: ce crétin passerait de vie à trépas un de ces jours mais pas à cause d'elle. Elle n'allait pas rétorquer à cette folle et...

-Tu n'as pas envie de regarder un film?

Nara poussa une soupir de soulagement tandis que Hu Jun Ji cherchait un programme en vod à diffuser à sa compagne.

La jeune fille leva les yeux vers la cuisine: Hatori lui faisait signe.

Elle se glissa silencieusement à sa suite et attendit qu'il ait fermé la porte pour se détendre.

-Enfin! J'ai cru que cela ne s'arrêterait jamais! Et vas-y que je te parle de ma séance de manucure, et vas-y que je te parle de mes séances de musculation... C'est une édition spéciale de Barbie et Ken au gymnase ou quoi?

Hatori sourit en versant un thé brûlant dans de ravissantes tasses de porcelaine.

-Vous en voulez?

-Merci.

Nara ferma les yeux. Dans cette cuisine chaleureuse, avec une présence amie, elle se sentait enfin en sécurité.

Hatori secoua la tête:

-Mais pourquoi acceptez-vous cela? !!! De servir de doublure à cette péronnelle!

-Ce n'est pas si grave!

-Bien sûr que si! Si monsieur est assez stupide pour se pendre à la moindre contrariété épidermique, je ne vois pas en quoi cela vous concerne!

-C'est moi qui ait eu cette idée d'huile de noix, à moi d'en assumer les conséquences.

-Vous n'y êtes pour rien et franchement, le jour où monsieur y restera, je ne perdrais pas cinq minutes à le pleurer.

Nara regarda Hatori et pour la première fois, elle réalisa l'immense colère qui l'habitait. Elle repensa à cette soirée affreuse où ils avaient décroché le corps inerte de la penderie:

-Le soir où je l'ai trouvé...

-Oui?

-Vous n'étiez pas du tout angoissé par son état..

-Bien sûr que non.

-Pourquoi?

Hatori haussa les épaules:

-Si il était mort ce soir-là, j'aurais trouvé le courage de partir.

-Vous le détestez, n'est-ce pas?

-Oui.

-Pourquoi?

Le regard d'Hatori se chargea de nuages.

-Ma fille s'appelle Kimiko. Elle va avoir huit ans.

-Vous avez une fille?

-Si on veut...

-Si on veut?

Hatori poussa un soupir et entreprit de nettoyer les tasses désormais inutiles.

-Je travaille pour monsieur depuis ses débuts, il y a trois ans. Au départ, j'étais heureux d'avoir un excellent salaire qui me permettait de gâter ma fille mais au fil des semaines, le service est devenu de plus en plus exigeant. Ma femme me reprochait mes horaires. Le travail n'était pas facile à cause des caprices de monsieur et je suis devenu plus irritable. Mon épouse a alors décidé de rentrer au Japon. Je m'y suis opposé et il y a eu un jugement.

-Et cela s'est mal passé?

-Au départ, cela se passait plutôt bien car Kyoko ne pouvait prouver que je manquais à mes devoirs de père jusqu'au jour où Kimiko est tombée malade.

-C'est là que Hu Jun Ji s'est mal comporté?

-Mal comporté? Il s'est comporté comme à l'accoutumée, en monstre d'égoïsme! Je l'ai supplié de me donner ma soirée pour que je puisse m'occuper d'elle mais il a refusé car il avait des invités ! Il m'a dit que soit je restais, soit c'était la porte.

-Pourquoi n'être pas parti?

-Une des conditions sine qua non pour obtenir la garde alternée était que j'ai des revenus solides. Je ne pouvais pas me permettre de partir et il le savait.

-Que s'est-il passé ensuite?

-Je suis resté. Dans la nuit, Kimiko a dû être hospitalisée. Kyoko a fait ressortir le fait que je me fichais de la santé de ma fille et a obtenu la garde totale. Le divorce a été prononcé en sa faveur. Comme elle n'avait pas de travail ici, elle est rentrée au Japon et s'est remariée. Je ne vois Kimiko qu'une semaine par an.

-Pourquoi ne pas démissionner pour rentrer au Japon vous aussi?

-Parce que monsieur m'a menacé de me renvoyer sans recommandation et de faire en sorte qu'on ne m'embauche plus nulle part si je partais. J'ai 47 ans. Si je perds mon travail et que je n'en retrouve pas, non seulement je ne pourrais plus voir ma fille car j'ai besoin d'un endroit confortable pour l'accueillir, mais je ne pourrais même pas remplir mon dernier devoir pour elle à savoir payer sa dot et ses études.

Nara soupira:

-Je suis désolée pour vous.

-Et moi pour vous. Monsieur me tient par l'argent mais vous, il vous tient par la culpabilité, c'est bien pire!

-Il n'a pas besoin de pousser beaucoup vu l'état dans lequel je l'ai mis.

-Qu'en savez-vous? Il est bien capable d'avoir inventé cette histoire de fragilité cardiaque pour vous torturer à loisir!

-J'ai envoyé son dossier médical à son insu à un vieux camarade de lycée devenu chirurgien.

-Et alors?

-Le cœur a été très gravement endommagé et deux disques cervicaux ont été fêlés. Il y aurait aussi eu des lésions cérébrales.

Hatori en fut ébranlé:

-Vous en êtes sûre?

-Certaine. Pour mon ami, continuer sa carrière dans l'industrie est du suicide: il peut s'écrouler ou être paralysé à chaque instant. Ou avoir des pertes de mémoire. Et si cela arrive, ce sera entièrement ma faute car c'est moi qui l'ait poussé à faire ça.

-Vous ne pouviez pas deviner une réaction aussi stupide!

-J'aurais pu tout aussi bien lui donner une bourrade qui l'aurait envoyé valser par erreur à travers une fenêtre. Est-ce que le fait de ne pas avoir voulu le blesser me dédouane de ce que j'ai fait?

-Il en profite à fond. Échappez à son emprise et allez-vous-en avant que ce soit vous que je décroche de la penderie !

-Que je le veuille ou non, qu'il le montre ou pas, j'ai détruit sa vie, Hatori. Et je dois payer pour ça.


 

***


 

Nara marchait dans un centre commercial derrière Hu Jun Ji. Ce dernier, soudain, s'effondra.

Le tumulte était à son comble: fans, journalistes, staff, secours... Tout le monde s'agitait . Le vacarme était insoutenable.

-Tu voulais te venger, tu ne pouvais pas faire mieux.

Nara sursauta : elle ne voulait pas penser une chose pareille.

-je n'ai jamais voulu ça!

-Ça t'arrange bien au fond... même si ça fait de toi une meurtrière...

A deux pas, tout le monde pleurait.

Finalement, les secours se retirèrent et recouvrirent la civière d'un drap blanc...

-Nooonnn!!!!"


 

Son propre hurlement la réveilla. Il était quatre heures. Le soleil n'était pas encore levé.

Hu Jun Ji qui traversait le salon lui jeta un regard étonné:

-Alors, Mocheté? Tu as fait un cauchemar? Laisse-moi deviner: tu t'y es vu dans un miroir?

Nara, choquée et tremblante, ne répondit pas.

Hu Jun Gi achevait de prendre son manteau et son sac.

Nara fit un effort pour se reprendre:

-Où tu vas?

-Comme tous les matins. Ma journée commence.

-Je t'accompagne.

Hu Jun Ji sourit, incrédule:

-Ça va pas? J'ai aucune chance de voir Jia Hara avant midi. J'ai pas besoin de toi dans mes pattes.

-Je t'accompagne. Sinon, soit sûr qu'à midi, je serai souffrante et indisponible.

-Tu vas t'ennuyer à mourir!

-Tant pis. Et j'emporte tes pilules au cas où.

-Eh, Mocheté! Je t'ai jamais dit de devenir mon infirmière!

-Il fallait pas me forcer à rester. Choisis: moi maintenant ou pas de Jia Hara tout-à-l'heure.

Le garçon eut un soupir résigné:

-Okay... Mais grouille-toi, je vais être en retard."


 

Pendant le parcours, Nara, encore sous l'impression de son rêve, ne cessait de fixer Hu Jun Ji qui conduisait calmement. C'était bien la première fois qu'il ne souriait pas. Il avait peut-être mal quelque part!

-Arrête-toi.

-Quoi?

-Tu es tout pâle, je veux prendre ta tension.

-Mais ça ne va pas? On va arriver en retard!

-Arrête-toi!

-Tu as décidé de me pourrir la vie en tombant dans l'excès inverse? Un jour, tu me tues, le lendemain, tu me surprotèges?

-Je ne t'ai pas tué!

-Alors cesse de te comporter comme si c'était le cas!

-Tu m'as dit toi-même que...

-Si cela arrivait, ce serait ta faute! J'ai jamais dit que par ta faute, j'étais un mort-vivant qu'il fallait empêcher de tomber en morceaux à chaque pas !

-Désolée, pour moi, la nuance est trop subtile. Arrête-toi ou je te jure que je ne te lâcherai pas de toute la journée!

Hu Jun Ji poussa un grognement:

-Tu es insupportable!

Il stoppa sur le bas côté et remonta sa manche.

Nara y apposa le tensiomètre.

-C'est quoi, cette cicatrice?

-Tu crois qu'on est devenu amis ou quoi? J'ai pas à te raconter ma vie!

-Okay... Mais vue la longueur, tu as dû déguster...

-T'en fais pas pour moi... J'ai pas eu à me balader avec la tête d'un monstre, donc pour moi, ça a toujours été super.

Nara haussa les épaules: celle-là, elle ne l'avait pas volée. En quoi la vie de ce sale type pouvait-elle l’intéresser ? Si, déjà, il arrivait à rester sur cette Terre pour ménager sa conscience, ce serait largement suffisant.

-Tu as raison. Désolée d'avoir demandé. Bon...12... C'est bon...

-Super. On peut y aller?

-Tu es obligé de commencer tes journées aussi tôt? Si elles sont trop longues...

-Oui,maman... Bon, tais-toi un peu, on arrive... Tu t’assois dans un coin et tu ne me déranges pas...

Nara reconnut l'agence. Les bureaux étaient fermés et les couloirs déserts.

Hu Jun Ji descendit au sous-sol et se changea à la hâte. Il lança la musique et commença à répéter inlassablement les mêmes mouvements de chorégraphie, recommençant encore et encore sans s'accorder le moindre repos.

Nara, affolée, le voyait vaciller par moment, reprendre son souffle et recommencer.

-Arrête-toi un peu à présent!

-Si tu t'ennuies, va faire un tour et fiche-moi la paix, Mocheté!

Nara baissa les bras. Epuisée, elle se rendormit vers 6h30. Il était 9 h quand le soleil éclatant qui traversait la fenêtre la réveilla. Hu Jun Ji dansait toujours mais il était à présent entouré de son groupe.

-Tu devrais arrêter maintenant! protesta Nara. Tu as les lèvres toutes blanches!

-C'est vrai, ça, Juju d'amour, persiffla Gun en s'essuyant sa nuque transpirante avec une serviette éponge.

-Jun, tu as une nouvelle copine? Tu fais dans le cubisme, maintenant?

-Elle a l'air de se faire beaucoup de souci pour toi, veinard!

Hu Jun Ji attrapa une serviette, excédé:

-Oh, la ferme!

Il fonça à la douche et en ressortit dix minutes plus tard rasé de près, peigné et parfumé.

-Bon, jeta t-il aux autres, je dois y aller...

-Le shooting Armani? demanda Gun.

-C'est ça...

-Tu vas emmener ton pokemon avec toi? demanda Ji Lung, hilare.

-D'accord pour monstre mais elle rentre pas dans une poche... railla Di jun.

Nara n'y prêta pas attention et se lança à la poursuite de Hu Jun Ji qui quittait déjà l'agence au pas de course. Elle s'engouffra dans la voiture de justesse avant qu'elle ne démarre.

Hu Jun Ji la regarda d'un air incrédule:

-C'est pas vrai! Tu as prévu de me coller comme ça toute la journée?

Nara haussa les épaules:

-Ouais.

-Ce n'est pas ce qu'on avait prévu: tu devais me rejoindre à l'hôtel Gu Jin à midi !

-Et si tu meurs sur ces entrefaites, je m'en voudrais le reste de mes jours de ne pas avoir été là pour te tendre tes cachets.

-Ce n'est pas ce qu'on avait décidé!

-Tu m'as dit un jour que cette fois, c'était moi qui me posait mes propres contraintes. Tu as complètement raison: ce que tu décides n'a aucune valeur pour moi. Ce qui compte, c'est de te garder en vie et si la manière dont je m'y prends ne te plaît pas, tant pis pour toi.

-Tu as oublié un détail: Tu as détruit les vidéos donc je te débarque quand je veux...

-Si tu voulais me débarquer, tu n'aurais pas tout fait pour m’enchaîner à toi. Grâce à moi, tu as pu sortir huit fois avec ta copine cette semaine et je pense que tu n'as pas envie d'y renoncer. Alors, je change les termes du contrat: je fais ce que je veux et tu peux garder ta Jia. Tu m'en empêches et tu recommences à la voir à la sauvette dans des garages sordides en priant pour que nul ne vous repère.

-Si tu me suis partout, tu vas me stresser à mort!

-Mais vu que je me baladerai avec tes calmants, ceci compensera cela. J'en ai assez de cauchemarder toutes les nuits pour toi, de trembler à l'idée que tu puisses vivre la moindre angoisse.... Alors, je gère ce qu'il faut pour te protéger et le reste, je m'en balance. Je ne fais pas cela par affection pour toi, je te déteste mais au moins, j'aurais fait mon devoir.

-Méfie-toi, si tu me prends trop la tête, garage ou pas, tu vas te retrouver sur le carreau!

-Et libérée de toute culpabilité car, si tu me vires, cela revient à te suicider de nouveau ce qui annulera la première tentative. L'idée est séduisante finalement: Vire-moi tout de suite, et passons tous les deux à autres choses.

Hu Jun Ji ne dit rien.

Nara sourit:

-Bon, nouveau mot d'ordre: Subis-moi ou vire-moi. Jusqu'à ce que tu te sois décidé, je ne veux plus rien entendre. Tu démarres?

***

Le restaurant Gu Jin était bondé. Jia Hara était déjà installée à une table, attendant Hu Jun Ji , visiblement furieuse.

Elle l’accueillit vertement, ignorant la présence de Nara à ses côtés:

-Gun vient de me téléphoner! Tu as laissé cette horreur te suivre toute la matinée? A quoi tu joues ? Je croyais qu'elle n'était là que pour nous couvrir? Pas besoin de la trimballer du matin au soir!

Hu Jun Ji soupira:

-Elle a voulu m'accompagner mais ...

-Elle a voulu t'accompagner! hurla Jia Hara. La belle affaire!

Nara remarqua un léger vacillement trop familier ainsi qu'une effrayante pâleur sur les traits de Hu Jun Ji.

La dispute se poursuivait, si l'on pouvait appeler cela une dispute, Jia Hara hurlant et vitupérant sur son copain au bord de l’évanouissement.

-C'est trop facile! Tu me dis que...

Nara leva la main:

-Excusez-moi... Pour info... Vous êtes jalouse de moi, non?

Jia Hara éclata de rire: De vous, Mais il faut vous regarder dans un miroir, ma pauvre fille!

-Je n'ai donc aucune chance face à vous?

-Evidemment!

-Alors ce qui vous dérange, c'est que je le suive...

-C'est ça!

-Et vous ne désirez pas que je surveille la santé de votre petit ami lorsque vous n'êtes pas là...

-Si... mais...

-Oh! Merci pour cette marque de confiance! Bon, puisque la question est réglée....Voyons cette carte... Une langouste géante... Ça a l'air délicieux...

 

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