La revanche de Cendrillon : épisode 4
Jong Ho regardait par le hublot. Difficile de regarder autre chose : près de lui, Koe Ra le battait froid, derrière lui, il pouvait sentir le regard glacé et menaçant de See rang et un peu plus loin, la douce Ku Hun Ja, seule personne près de qui il aurait aimé être assis, regardait un magazine l'air absent.
Et tout autour, des journalistes, prêts à capter LE moment tendre, LE regard complice entre lui et sa femme, ou mieux encore entre See Rang et sa femme, ou entre lui et Ku Hun Ja, ou entre See Rang et Ku Hun Ja ou encore...
Bon, aucune chance que la dernière possibilité se produise, c'était déjà ça.
Sans compter les passagers réguliers installés en périphérie qui passaient leur temps à lorgner vers sa place et celle de See Rang...
-Excusez-moi, je dois aller aux toilettes...
Encore une jeune fille atteinte de cystite qui passait près de son fauteuil en lui jetant des regards emplis d'espoir... Pas la peine de se retourner pour savoir qu'elle espérait qu'il la regarde dans les deux secondes qui lui étaient imparties entre le moment où elle frôlait l'accoudoir de Koe-Ra et celui où elle devrait sortir de son champ de vision.
Ne pas lui faire ce plaisir : ce serait le défilé.
-C'est déjà le défilé, lui rétorqua sa conscience.
Pas moins de trente-deux femmes avaient été prises d'envie pressante depuis une demi-heure. Certaines, comme cette demoiselle, ayant de sérieux soucis nécessitant des allers-retours constants.
Faire semblant de dormir? C'était encore la meilleure solution...
Des nuages, des nuages et des nuages... Plus que 21h15 a tenir... Le voyage n'avait commencé que depuis 30 minutes et il avait déjà l'impression d'être sanglé à ce fauteuil pour l'éternité.
"Avec Seoul Airline, atteignez le septième ciel" pouvait-on lire toutes les affiches de la ville.
-Tu parles... avec Seoul Airline, bénéficiez d'un vol direct pour l'Enfer, oui!
L'avion piqua brusquement du nez. Un trou d'air. Le cœur de Jong Ho fit un bond, pris d'une angoisse telle qu'il n'en n'avait jamais connu. Quoique...
-Mesdames et messieurs, nous traversons un zone de turbulence. Veuillez rester calmes.
Il ferma les yeux, terrifié. Il suffoqua, la poitrine douloureuse et le sang battant à ses tempes.
-Tout va bien. Respire et pense à un bon moment... Au bal de fin d'études avec Ku Hun Ja... Quand tu es allé la chercher chez elle...
Il mit quelques secondes à reconnaître la voix de Koe Ra inhabituellement douce et à sentir la pression de sa main autour de la sienne.
-Concentre-toi sur Ku Hun Ja...
Il obéit et retrouva un semblant de sérénité. Sa respiration se fit plus ample. La douleur disparut.
Il ouvrit les yeux. Le calme était revenu.
Koe Ra avait lâché sa main et regardait devant elle, l'air impassible.
Jong Ho se demanda s'il avait rêvé.
Une seule manière de le savoir.
Il baissa la voix pour ne pas êtr entendu des journalistes:
-J'hallucine, ou tu viens de me rassurer, à l'instant?
-Aucune envie de me retrouver veuve avant le divorce et de me battre avec ta mère autour d'un testament en sa faveur, répondit sa femme sur le même ton. .
-Pourquoi veux-tu que je meure?
-Ca fait une vie que je te connais: tu crois vraiment que j'ignore tes problèmes cardiaques?
-Alors, il va se passer quoi, maintenant ? Tu vas veiller sur ma santé ?
-Jusqu'au divorce, sans aucun doute. Et jouer le rôle de la petite femme parfaite jusqu'à la fin de cette émission.
-Pourquoi ça?
-Si ta carrière s'effondre, ma pension alimentaire aussi.
Jung Ho hocha la tête. La logique de cette femme était imparable.
***
-Benvenuti a tutti. Spero che il viaggio sia stato buono! Mi chiamo Marco Turini e sono il tuo host oggi...!
Jung Ho dut faire un effort pour retrouver son sourire de représentation face à la bonne humeur exaspérante de l'homme jovial qui lui faisait face. Marco Turini. Apparemment, un présentateur vedette à la télévision italienne.
Il se demanda en quoi il était utile de diffuser cette émission en Italie. Le nombre de ses fans ne devaient pas excéder la dizaine de milliers dans ce pays. Pour la majorité des gens, cette émission consisterait juste à regarder une palanquée d'asiatiques se ramasser face à la préparation de pâtes en sauce...
-Bien sûr que non ! Tu vas accroitre le nombre de tes fans !
Mouais... On pouvait toujours rêver...
Ils venaient d'arriver à in petit restaurant coloré surmonté d'une enseigne en bois.
L'homme continuait à débiter son discours apparemment inconscient de l'incompréhension totale qui régnait sur son auditoire.
Jong Ho croisa le ragard de See Rang aussi souriant et perdu que lui. Leur détresse commune avait signé une cessation temporaire des hostilités. C'était déjà ça.
-Bon sang! Il arrive quand cet interprète?
Le présentateur continuait, tout sourire :
-Vi presentro ai proprietari.
-Grazie mólto. Non vediamo l'ora di incontrarli.
Jong Ho sursauta : Koe Ra venait de répondre dans un italien parfait.
-Je rêve... Depuis quand tu sais parler italien?
Sa femme le regarda avec un sourire franc qu'il ne lui connaissait pas.
-J'adore les séries occidentales...
-Qu'est-ce que tu lui a dit?
-Que nous avions hâte de rencontrer les propriétaires. Un souci ?
Ku Jun Ha se redressa et essaya de se donner une contenance, mal-à-l'aise.
-Pardonnez-moi, Koe-Ra Si... Pourriez-vous m'aider à l'avenir? Je ne connais pas un mot d'italien...
Le sourire de Koe Ra s'élargit:
-Bien sûr.
La porte vernissée s'ouvrit. Jong Ho allait s'y engouffrer lorsque Koe Ra le retint et se tourna vers les autres membres de leur petit groupe:
-Surtout, ne vous déchaussez pas !
Jong Ho la regarda, soupçonneux : elle essayait de le pousser à la faute ? Aucun de ses fans n'accepterait une offense pareille.
Koe Ra comprit à son regard qu'il valait mieux s'expliquer :
-Ca ne se fait pas, ici. Les gens gardent leurs chaussures dans les restaurants. Si vous ne me croyez pas, regardez dans l'entrée : vous n'en verrez aucune.
Jong Ho entra, mal-à-l'aise. C'était une torture : autant lui ordonner de cracher sur les vitres!
See rang n'en menait pas large non plus. Ku Jun Ha suivait timidement.
Une vieille dame corpulente leur fonça soudain dessus. Koe Ra poussa discrètement Jong Ho derrière elle.
Elle tendit la main à la matrone, la regardant droit dans les yeux. .
Jong Ho regarda See Rang avec horreur : c'était un marathon d'impolitesse? Ils allaient se faire virer dans la première demi-heure!
La matrone saisit la main de la jeune fille et la serra avec force:
-Bienvenuti. Sono Isabella Cerruti!
-Piacere di conoscerti, lo sono Lee Koe-Ra e e questo è mio marito Lee Jong Ho e ie i suoi amici: See Rang e Ku Jun Ha.
La vieille dame se mit en devoir de prendre tout ce petit monde dans ses bras. Lee Jong Ho tenta de garder le sourire et de la regarder dans les yeux.
-Bon sang, c'est quoi la prochaine étape ? On se balance un verre de vin à la figure?
La vieille femme le lâcha et il eut du mal à reprendre son équilibre.
Il regarda autour de lui : les murs de la salle étaient lambrissés. Des tableaux de monuments italiens couvraient les murs. Un bar de briques séparait la salle de la cuisine. L'ensemble était simple mais chaleureux.
-C'est joli, ici... lâcha t-il malgré lui.
La vieille dame le regarda, mal à l'aise.
Koe-Ra traduisit :
-Dice che il tuo ristorante è molto carino.
Le visage de la vieille femme s'éclaira et elle reprit Jong Ho dans ses bras.
-Grazie mille !!!
Celui-ci échappa à son étreinte rouge de confusion et d'essoufflement.
Rappel pour plus tard : limiter les compliments au strict minimum.
Son regard tomba sur Koe-ra et il resta stupéfait.
Elle riait. Pour la première fois.
***
-Tu prends le côté gauche ou le côté droit?
Koe Ra venait de poser cette question sans le regarder en arrangeanrt la couette sur le lit rustique qui les attendait.
Il haussa les épaules:
-Depuis le temps que l'on dort ensemble, tu devrais le savoir, non?
-Dans la mesure où tu ne dors jamais dans notre lit et toujours dans celui des autres, je dois dire que cela fait longtemps que je l'ai oublié. La dernière fois, c'était... la conception de Rong Jin, non?
Jong Ho attrappapa son pyjama en grognant:
-Côté droit. Ca ne te dérange plus de dormir près de moi?
-Il y a deux cameramen qui dorment dans la chambre d'à côté : pas la moindre envie d'essuyer une rumeur de séparation si l'un d'eux se trompe de porte.
-Donc, tu ne vas rien faire pour saboter cette émission?
-Je t'ai donné mes conditions : Rong Jin nous rejoint demain dans la matinée. Si tu tiens ton engagement, je serai une épouse modèle.
-Pour une fois que tu peux avoir un peu de vacances... On lui avait proposé un mois en parc d'attractions. Je n'y comprends vraiment rien...
-Si tu comprenais quelque chose, nous ne serions pas en train de divorcer.
-See Rang a décidé de te séduire.
-Vraiment?
-Tu en penses quoi?
-Depuis quand sommes-nous assez proches pour parler de ce genre de choses?
-As-tu l'intention de céder à ses avances ?
-Serait-ce le comportement d'une épouse modèle? Bonne nuit.
Sur ce, elle se coucha, tira à elle la couverture et éteignit la lumière.
Jong Ho regarda par la fenêtre qui donnait sur une cour pavée de pierre.
Ku Jun Ha était assise sur un petit banc de pierre, regardant rêveusement le clair de lune.
Jung Ho sentit son coeur se serrer : si seulement, les choses avaient pu se passer autrement....
***
High School Corpjong, 10 ans auparavant
-Jong ! Dépêche-toi, on va être en retard !
Jong Ho se laissait trainer dans les escaliers. En théorie, il courait bien plus vite que Jun Ha mais lui donner l'impression de diriger lui faisait toujours plaisir.
-On ne peut pas sécher le cours de coréen, aujourd'hui?
-Ca ne va pas ? Peut-être que tu peux te le permettre mais pas moi! Tout le monde n'a pas la chance de sortir d'une famille richissime!
Jong Ho sourit :
-Et qu'est-ce que cela change?
-Une envelloppe bien garnie peut alléger la mauvaise humeur du proviseur...
Jong Ho tira d'un coup sec et Jun Ha se retrouva projetée dans ses bras, le visage collé au revers de la veste de son uniforme:
-Alors, on donnera deux enveloppes pour aujourd'hui...
-Tu paierais pour moi?
-Evidemment. Ce qui est à moi est à toi.
-C'est une demande en mariage?
-Ca dépend de ta réponse.
-Oui. Alors, c'en était une ?
***
Jong Ho secoua la tête. Autant ne plus y penser. De toute manière, il aurait bien dû se douter de la manière dont tout cela allait finir...
Comme ce jour-là, dans le vestiaire désert du gymnase de l'école où il avait retrouvé Jun Ha...
-Que fait encore ta bonne ici ?
-Koe-Ra?
-Regarde ! Elle est dans le couloir !
Elle s'était écartée. Juste au moment où il allait l'embrasser... La bonniche choisissait toujours son moment. Jun Ha voulait se dégager de son étreinte mais il avait insisté.
-Ne fais pas attention à elle...
-Je ne peux pas me concentrer dans ces conditions! Ca ne te dérange pas de m'embrasser sous son nez?
-C'est comme le faire devant un meuble ou un arbre, pour moi !
Elle n'avait même pas cillé sous l'insulte et continuait à monter la garde et à le regarder fixement depuis la porte. Complètement stupide, cette demeurée!
-Rien de plus?
-Rien, je t'assure!
-C'est personne, pour toi?
-Personne ! Je te promets ! Je ne sais pas pourquoi elle me colle ainsi mais je n'y suis vraiment pour rien !
Jun Ha s'était blottie dans ses bras. Pour la première fois, tout malentendu était écarté.
***
Il pleurait. Jun tapotait son épaule gentiment.
-Ce n'est pas grave ! Une audition de perdue, dix de retrouvée ! Et dans le pire des cas, ce n'est pas comme si tu n'avais pas d'avenir!
La salle de classe désert commençait à s'assombrir. Le soleil se couchait. Il allait falloir penser à rejoindre le dortoir mais, comme tous les soirs, Jun et lui allait arriver juste à temps pour le couvre-feu. La surveillante acceptait de fermer les yeux pour quelques minutes, consciente que deux amoureux avaient toujours mille choses à se dire.
-Je vais y arriver ! Je te le promets !
Jun Ha avait hoché la tête, doucement :
-Jong... Si tu peux exaucer ton rêve, je serai à tes côtés. Mais si on ne te prends pas... Pour moi, tu seras toujours le numéro un.
Jong Ho savait qu'elle disait ça par gentillesse. Sans relâche, elle glissait toutes les annonces d'audition dans son sac depuis des mois. Elle pensait qu'il ne le savait pas mais il avait reconnu son parfum sur les brochures. Elle restait discrète mais toujours présentes après chaque date afin de lui remonter le moral lorsque c'était nécéssaire pas comme l'âme damnée de sa mère qui ne le quittait jamais des yeux et était toujours ravie de faire son rapport à sa génitrice qui se moquait de sa stupide lubie pour le cinéma...
Ce soir encore, elle était là, dans son survet informe avec son air aussi sinistre que stupide.
Jun Ha venait de partir.
Il s'était rué sur cet oiseau de mauvais augure:
-Tu ne pourrais pas dégager une fois pour toutes ? Je me suis vautré en beauté ! Tu le sais, tu as tout vu ! Toujours à attendre que je me ramasse dans la salle ! Tu as pensé à filmer pour ma mère? Je vais laisser tomber : vous êtes contentes?
Elle avait haussé les épaules:
-Je ne comprends pas pourquoi le jeune maître vient me raconter cela.
-Pour que tu ailles le raconter à ma mère.
-Votre mère n'a pas besoin de moi pour savoir que vous allez échouer : vous n'avez pas le talent nécéssaire pour devenir acteur.
Il s'était rué vers elle, le poing levé mais elle l'avait regardé avec son irritante impassibilité:
-ce n'est pas moi qui l'ai dit mais le metteur en scène, ce soir. Et vous allez laisser tomber, donc, vpous êtes d'accord avec lui, alors pourquoi tant de colère?
Elle avait calmement disparu dans le parc. Elle rentrait à la maison pour faire son rapport en bon toutou bien dressé.
De toutes les personnes vivant sur cette planète, ce soir-là, elle était sûrement la personne que Jong Ho détestait le plus.
***
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