Chapitre 2 : En terre inconnue
Le break filait à toute allure sur la route déserte. Alentour, une mer d'épineux. Hostile. Une collection infinie de végétaux criant aux passants :
– Je m’occuperai de me rendre présentable plus tard. Pour l’instant, survivre me demande bien assez d’efforts.
Seuls les cactus sangaros levaient leurs bras vers le ciel, apparemment ravis d’être là.
Maddie se concentrait sur le paysage afin de ne pas avoir à regarder Jack qui paraissait, de toute manière, absorbé par sa conduite.
– Heureusement qu'il n'y a personne sur la route... songea-t-elle. On ne devrait pas délivrer leur permis à des personnes ayant deux de tension ! Ce qu'il peut être mou ! Cette route n'en finit pas ! et on ne risque pas de décoller avec cette remorque ! Quel homme sensé emmène son cheval partout où il va ? Pourquoi ne pas prendre l'autoroute jusqu'à la ville la plus proche ? finit-elle à voix haute. Ça nous avancerait ! Il fait une chaleur étouffante, ici !
Jack ne réagit pas. Apparemment, répondre à son interlocuteur ne faisait pas partie des habitudes du grand Jack O'Bryan. Un paysan mal dégrossi imbu de sa personne ! Voilà ce qu'on lui avait imposé ! Vous parliez d'un partenaire !
La jeune femme reporta son attention sur les stations à essence et sur les motels abandonnés au look retro qui bordaient la route.
Elle essaya de relancer la conversation pour éviter de mourir d'ennui :
– La route 66 ! C'est un monument ! Il fallait la voir dans les années 50 ! Tous les motels étaient flambants neufs et les restaurants délicieux... Il en reste quelques-uns, c'est très typique.
– Typique de quoi ?
– De l'Ouest ! Elle évoque pour chacun une chose particulière... Pour moi, c'était ces restaurants aux néons éblouissants. Mon mari adore en parler pendant des heures... Vous saviez qu'elle a été la première route transcontinentale goudronnée ? Tommy connaît son histoire par cœur. Ainsi, dans les années 30, c'est par là que les familles ruinées par la crise descendaient pour aller chercher du travail en Californie. Et pour vous, qu'est-ce que cette route évoque ?
– La route qui mène chez moi.
Le silence retomba.
– Je me doute bien qu'il n'est pas donné à tout le monde de l'apprécier à sa juste valeur. Par exemple, elle regorge de petits coins peu connus, de lieux insolites et pittoresques... Il y a ainsi un petit restaurant appelé chez Cosy qui a été fondé par un homme dans les années 50. Il a inventé un concept : une saucisse enroulée dans une galette de maïs frite ! Son petit-fils a tenu à continuer à faire ses saucisses en suivant la recette de son grand-père et le décor n'a pas changé depuis les années 50 !
– Si, Cody a refait la tapisserie l'année dernière. Et il a agrandi le parking.
Retour au calme. Maddie essayait de ne pas regarder Jack. Tant de mollesse la rendait folle :
– Mais savez-vous que le trafic sur cette route a terriblement chuté depuis les années 50 ? Seul son attrait touristique…
– Tant mieux.
– Comment ça, tant mieux ? s'étrangla Maddie, vous souhaitez la mort d'un monument historique ?
– On va beaucoup moins vite lorsqu'il y a plus de voitures.
– Mais vous ne voyez pas la dimension culturelle...
– Quelle dimension culturelle ? Vous vouliez prendre l'autoroute, il y a cinq minutes !
Maddie essaya de changer de sujet pour ne pas céder à la tentation de hurler sa frustration :
– Mon mari est historien spécialisé dans la civilisation picte ! Il est très concerné par les problèmes de notre époque... Mais son pêché mignon, ce sont les motos. Les Harley Davidson. Il en a trois ! Il connaît tout à ce sujet. L'écouter est passionnant. Mais je ne pense pas que vous connaissiez les Harleys ?
– Je n'aime pas les motos. Les voitures, non plus.
– Évidemment !
Jack haussa les épaules, sans répondre.
Maddie se sentait sur le point d'exploser.
– Vous allez vous comporter en goujat encore longtemps ?
– Aussi longtemps que vous m’assommerez avec vos bavardages.
– Vous êtes une brute arrogante !
– Ignare, arrogante et totalement abrutie, corrigea Jack, impassible.
– Entièrement d'accord avec vous.
– Normal, c'est vous qui l'avez dit.
Maddie rougit violemment.
– J'ai encore parlé tout haut ?
– Des dizaines de fois. Au moins, avec vous, on sait à quoi s'en tenir.
Maddie sentit qu'elle aurait dû s'excuser mais sa fierté l’en empêcha et elle préféra changer de sujet.
– Quelle est la ville la plus proche de votre ranch ?
– Phoenix.
– Votre ranch est près de Phoenix ?
– Phoenix est la ville la plus proche. Elle n'est qu'à 90 kilomètres.
– 90 kilomètres ?! Il n’y a rien de plus près ?
– Il y a Buckbridge. 110 habitants.
– Formidable : Quatre mois à patauger dans la boue et le purin avec un crétin abruti dans un trou paumé rempli de paysans débiles ! songea Maddie.
– Bien reçu, jeta sobrement Jack.
Maddie se mordit les lèvres : cette manie commençait à devenir franchement préoccupante.
– Vous n'êtes pas en colère ? s'étonna Maddie.
– Si, déclara calmement Jack en changeant la vitesse.
Les yeux de Maddie tombèrent sur le paysage sauvage et aride. Le désert de Sonora était réputé pour être un des plus meurtriers d'Amérique.
– Comment un enfant peut-il grandir ici ? songea-t-elle. En tout cas, le mystère était éclairci : avec un soleil pareil, pas étonnant que sa cervelle soit ramollie !
Elle fut soulagée de voir que cette dernière remarque était restée dans le domaine privé.
***
Le ranch des O'Bryan était composé de trois écuries, d'une grange, d'un hangar, d'un garage et d'une vaste maison de bois coiffée d'un toit à double pente de style pionnier. Plusieurs hectares de prairies où paissaient des dizaines de chevaux les entouraient.
Çà et là, des bouquets d'arbres, saupoudrés un peu partout sur la propriété apportaient un peu d'ombre et de fraîcheur comme pour faire un pied de nez aux cactus gigantesques qui bordaient la route, vivants rappels que le désert était aux portes de ce paradis.
Maddie descendit de voiture et grogna :
– Du crottin de cheval. Évidemment ! Des chaussures toutes neuves de chez Cordouan !
Jack ne lui accorda pas un regard et alla ouvrir la remorque. Un magnifique étalon gris perle en descendit.
Jack lui caressa doucement la tête :
– Ça va ? Le voyage n'a pas été trop long ?
Maddie secoua la tête, incrédule : il n'était pas fichu d'être correct avec un humain mais il était adorable avec un canasson ! Décidément, ce type était une caricature !
– Je comprends votre facilité à tourner des westerns ! Le décor, l'attachement excessif à votre monture... Vous jouez du colt à vos moments perdus ?
– Uniquement quand c'est nécessaire.
Maddie sursauta et regarda le visage fermé de son partenaire :
– Vous êtes sérieux, là ?
Ce dernier ne répondit pas et se dirigea vers la porte de la maison. Maddie le suivit, manquant se tordre la cheville dans les ornières :
– Vous êtes sérieux ?
Le vestibule était tapissé de soie beige, éclairé par un lustre semblant sorti tout droit d'un saloon. Sur les murs, des peintures de chevaux s'étalaient ici et là.
Une femme distinguée aux cheveux blancs et aux rides prématurément creusées se dressait à présent devant eux.
– Jack ? Je ne t'attendais pas. Comment vas-tu mon grand ?
– Bonjour. Je te présente Miss Tyler. C'est ma partenaire dans mon nouveau film. Je dois lui apprendre à monter. Si ça ne t'ennuie pas, je vais me reposer. Peux-tu la présenter aux autres, s'il te plaît ?
Maddie le regarda monter à l'étage, incrédule : il la laissait seule dans un lieu inconnu sans même l'aider à s'installer ? Quel immonde goujat !
Elle se força à sourire et tendit la main à son hôtesse avec entrain :
– Maddie Tyler ! Ravie de vous connaître ! Vous avez un ranch magnifique !
Le regard glacial posé sur elle eut raison de son sourire :
– Je sais qui vous êtes, mademoiselle Tyler. John va vous aider à monter vos bagages. John !
Un homme jeune, solidement charpenté, apparut. Il fronça les sourcils et dévisagea Maddie avec un mélange de dégoût et d'animosité.
– Je croyais qu'il ne devait plus ramener d'actrices ici ! gronda-t-il.
– C'est professionnel, rétorqua sa mère. Va chercher ses bagages dans la voiture.
Maddie ne s'était jamais sentie aussi mal à l'aise.
– Je suis tombée chez Ma'Dalton ! songea-t-elle.
– Vous avez d'autres fils ? demanda-t-elle poliment, autant pour engager la conversation que pour vérifier puérilement sa théorie.
– J'en ai quatre en tout, répondit sèchement sa bienveillante hôtesse.
Maddie retint un rire nerveux :
– Vous trouvez ça drôle ? gronda John.
– Non... pas du tout, dit la jeune femme en se mordant les lèvres. C'est une belle famille ! quatre garçons !
– Et deux belles-filles. Ah, Trévor, tu tombes bien !
Un autre solide gaillard, plus jeune que le précédent venait de pénétrer dans la pièce. Maddie nota avec amusement qu'il portait lui aussi un jean et une chemise à carreaux et qu'un Stetson pendait dans son dos.
– De mieux en mieux... On nage en plein cliché.
Le dernier arrivé lui jeta un regard furieux :
– Il nous a encore ramené une garce de la ville ?
Charmant.
– Sois aimable et conduis-la à la chambre d'ami.
– D'ami ? L’amie de qui ?
– C'est une invitée de Jack. C'est sa partenaire. Elle est là pour apprendre à monter à cheval.
– Il n'y a pas de ranch plus près de Los Angelès ?
– Ça suffit. Fais ce que je te dis et va briefer les autres. Je n'ai pas la moindre envie de vous expliquer la situation un par un !
Trévor grogna et fit signe à Maddie de le suivre. John revenait avec les bagages et il les suivit en silence dans l'escalier.
Formidable ! Non seulement son partenaire était un homme des cavernes mais sa famille était à son image ! Ce qu'il ne fallait pas faire pour booster sa carrière !
***
– Karshak ! A toi !
Le petit garçon attrapa la balle que lui lançait Pathoum aussi adroitement que le lui permettaient ses doigts malhabiles. Il sourit à son grand-frère et courut vers lui aussi vite qu'il le put.
Pathoum le prit dans ses bras et fonça vers le wigwam en feuilles de yucca où l'attendait leur mère. Karshak adorait ces moments d'intimité avec sa mère et son grand-frère.
– Pathoum ! Va ramasser du bois pour le feu et emmène Karshak avec toi !
Pathoum partit en courant, Karshak sur ses talons.
Dans les bois, Pathoum cueillit quelques baies que Karshak s'empressa de mettre dans sa besace, fier de cette mission de confiance.
Le ciel était d'un bleu limpide et Karshak sentait son cœur gonflé de joie. Un regard vers Pathoum lui apprit qu'il partageait son sentiment.
***
La salle à manger était aussi spacieuse que rustique. Une immense table de bois paraissant dater du siècle dernier trônait au milieu de la pièce, entourée d'une dizaine de personnes. Maddie avait réussi à identifier les différents convives à force d'écoute attentive et de recoupements dans leurs conversations.
Apparemment, la famille était construite autour de la matriarche, Ma'Dalton aussi appelée Moïra O'Bryan. La soixantaine, l'air grave et triste, cheveux blanc neige ramenés en un chignon, triste, droite comme un I, toujours vêtue de noir. Veuve. Dynamique et autoritaire, elle dirigeait tout son petit monde à la baguette.
A côté d'elle, l’aîné, William assis près de sa femme, Kate, une jolie blonde à l'air réservé. Père d’un cow-boy miniature, Billy.
Près de lui, le si aimable John, assez séduisant, apparemment très épris de son épouse, une dénommée Caitlin qui avait autant de conversation qu'un vase Ming. Leurs deux filles, Mitsy et Vicky compensaient très largement le silence de leur mère par des hurlements enthousiastes accompagnant leur course effrénée autour du salon.
Puis venait Trévor, proche de la trentaine, qui savait si bien mettre les gens à l'aise. Brun et mat de peau, menton volontaire et air renfrogné. Célibataire apparemment.
Enfin, entre Moïra et Trévor trônait le plus jeune frère, le célèbre Jack O'Bryan, 27 ans, né le 26 août à 18h22, Lion ascendant Verseau ainsi que le claironnaient tous les magazines pour adolescentes hystériques d'Amérique dans un souci de transparence crucial visant à permettre à ces demoiselles de souhaiter un joyeux anniversaire à leur idole.
Idole aussi immobile et impassible qu'une magnifique statue grecque étrangement affublée d'une chemise à carreaux et d'un blue jean délavé.
Visiblement, ce regard vide n'était pas feint : en public ou en privé, Jack O'Bryan restait l'homme le plus débile du monde.
Maddie observa la pièce avec attention afin de tromper son ennui : un plafond aux poutres apparentes noircies par les années, des fenêtres à petits carreaux agrémentés de rideaux jaunes à volants, des murs tapissés de satin vert... Des cadres mettant en valeur de très vieilles photos en noir et blanc ou des peintures représentant des gens inconnus ou des personnages célèbres tel que Wyatt Earp gravement dressé devant une grange, flanqué de trois fidèles compagnons, attendant que commence quelque crucial règlement de comptes ...
– On nage vraiment en plein cliché ! se répéta Maddie. A croire que ces gens viennent de décharger leurs affaires d'un chariot bâché ! A coup sûr, le voisin va arriver avec ses fils et ça va pétarader dans tous les coins !
Elle retint un sourire et se concentra sur son épi de maïs et ses côtelettes de porc caramélisés.
– Ils ne connaissent sûrement pas les sushis, ici. On est au 21eme siècle ! Pourquoi continuer à vivre comme en 1870 ? Ce sont peut-être des sortes de mormons ? Même leurs conversations sont sinistres ! et je ne parle pas de l'autre crétin qui ne desserre jamais les dents ! Vivement que j'apprenne à monter et que je finisse ce fichu film !
Le repas était terminé. Les femmes commencèrent à débarrasser.
– Est-ce que je peux aider ?
Un silence glacial accueillit sa proposition.
Maddie serra les poings. Jamais elle ne s'était sentie aussi humiliée.
– Du calme, songea-t-elle. Tu ne vas pas te soucier de ce que pense cette bande de débiles au ras-des-pâquerettes ! Si cela les amuse de jouer les femmes soumises, muettes, esclaves de leur mari, grand bien leur fasse. Ce n'est pas ici que l'on aura de grandes discussions existentielles ! A sept heures, je suis sûre que tout le monde va filer au dodo pour être en forme demain et aller traire les vaches ! Dans quatre mois, je serais de retour chez moi dans mon bel appartement de L.A et je penserai à ces pauvres filles trimant au soleil pendant que je me prélasserai dans mon jacuzzi !
Elle en était là de ses réflexions lorsqu'un murmure à son oreille la fit sursauter :
– Demain, au lever du soleil, devant l'écurie.
Maddie regarda Jack se diriger vers l'escalier. Il était déjà passé à autre chose.
Au lever du soleil ? Et puis quoi encore ? Pour qui se prenait ce cow-boy de pacotille ? Vivement que ces quatre mois se terminent !
Depuis le bois tout proche, un jeune homme aux longs cheveux noirs ne quittait pas la maison des yeux.
***
– Ici Lennister... du nouveau ?
– Ici Cory... Rien, Len. Barry, du Countryside, les a vus avant-hier soir... et depuis, plus rien.
– Ici Canyon... J'ai retrouvé la voiture abandonnée à la sortie de la ville.
Lennister Bringers abaissa son talkie-walkie, découragé. Debout devant le corral du ranch familial, il dirigeait les recherches depuis des heures, sans succès.
– Ils n'ont pas pu disparaître comme ça ! murmura-t-il, stressé.
Mais une voix hurlait en lui que c'était malheureusement tout-à-fait possible. Ça recommençait.
– Il va avoir notre peau, Len... Tu le sais bien... Tôt ou tard...
Travis avait raison. Mais nul n'avait voulu l'écouter. Ils avaient tous bien trop peur. Et maintenant, il avait disparu. Comme Harrison... Et comme Dan...
Harrison avait été le seul à prendre les choses à la légère :
– Ça va aller, Len... Calme-toi... Tu te fais trop de mouron... Ce n'est pas bon... C'est fini... Ça fait des années... Ça ira maintenant...
Harrison avait toujours été le plus détendu de ses frères... Il était son mentor, son guide, son ami plus que son grand frère... Et depuis la mort de leur père, le chef de famille... A chaque crise, il avait été le roc auquel on pouvait s'accrocher... et il n'était plus là.
Aujourd'hui, Lennister s'était levé à sept heures comme tous les matins pour découvrir que ses aînés avaient disparu et qu'il devenait par la force des choses chef du clan Bringers...
A l'heure actuelle, le décrire en quelques mots aurait été facile : grand, brun, les tempes prématurément blanchies, trente-cinq ans, seul et totalement paniqué...
On évitait de lui parler de ses cheveux blancs, en général... Se remémorer comment il les avait gagnés le rendait furieux... Sa chevelure avait blanchi en une journée, bien des années auparavant. Il en rêvait encore la nuit.
Des larmes de rage brûlèrent ses yeux et il eut l'impression d'avoir de nouveau quinze ans et de se retrouver planqué derrière ce fichu cactus comme alors, la haine et la terreur au cœur...
Le shérif ne ferait rien.
Travis avait raison. Il faudrait bien qu'ils fassent justice eux -mêmes.
***
Les coups pleuvaient. Karshak ferma les yeux. Son père, Karkat, était encore sous l'emprise du démon Katami. Un coup de pied le cueillit à l'estomac et il se plia en deux sous l'effet de la douleur.
Pathoum avait essayé de s'interposer mais que pouvait un enfant de neuf ans contre un homme d'une quarantaine d'années ?
Il ne fallait pas lui en vouloir : Karkat était possédé par le démon Katami que les blancs avaient donné aux L’Ne, enfermés dans des bouteilles. On racontait que la boisson maudite transformait les guerriers en monstres assoiffés de sang.
Lorsque Katami menaçait de faire son apparition, les femmes sortaient tous les objets fragiles des huttes et emportaient les enfants loin du village. Quand elles revenaient, bien souvent, Katami avait enveloppé de sommeil les guerriers les plus valeureux.
Karshak n'avait pas vu Katami à l’œuvre sur de nombreux guerriers, juste sur son père. Il l'avait littéralement englouti après le départ de Manata pour le grand voyage.
Karkat avait terminé. Il s'éloigna d'un pas vacillant. Pathoum se jeta sur Karshak et le serra dans ses bras de toutes ses forces ce qui arracha à ce dernier un gémissement de douleur.
Il se força néanmoins à sourire pour le rassurer et prolongea l'étreinte chaleureuse accordant les battements de son cœur à ceux de son grand frère.
***
Complètement abrutie de sommeil, Maddie se dirigeait vers l'écurie. Ses pieds la faisaient souffrir : ses bottines à talons s’accommodaient mal à la boue gluante qui paraissait couvrir l'intégralité de ce fichu domaine et ses chevilles flanchaient à chaque pas.
Les montagnes ocres se paraient d'une douce clarté dorée et une tranquillité absolue régnait sur le ranch, uniquement troublée par le mouvement ponctuel de quelques bêtes qui s'ébrouaient ou tapaient du sabot dans l'écurie voisine.
Jack l'attendait devant la porte de bois, tenant la bride d'une bête magnifique.
– Qu'est-ce que je fais, maintenant ? demanda-t-elle.
– Vous montez dessus.
Elle attrapa le pommeau de la selle, mit le pied à l'étrier et tenta de se hisser sur l'animal. Ce dernier fit trois pas, la forçant à sautiller de manière ridicule. Son talon, coincé dans l'anse de métal l'empêchait de faire marche arrière. Jack la regardait sans montrer le moindre signe de moquerie. Ou de quoi que ce soit d'autre. Il raffermit sa prise sur la bride d'une main et aida la jeune femme à monter de l'autre.
Emportée par son élan, Maddie manqua passer pardessus la bête et se rattrapa juste à temps pour ne pas chuter de l'autre côté.
– Pourriez-vous cesser de faire votre intéressante, une minute ? demanda Jack d'une voix morne.
– Je ne fais pas l’intéressante ! s'indigna la jeune femme. Tout le monde n'est pas né sur une selle ! Je n'aime pas les chevaux ! Je préfère des loisirs plus cérébraux que de m'asseoir bêtement sur un canasson !
– Arrêtez votre numéro, ordonna calmement Jack.
– Pourquoi ? Vous êtes vexé ? Ce serait une première ! Seriez-vous humain, après tout ?
– Vous énervez Tornade.
La bête commençait en effet à secouer la tête dans toutes les directions et à taper du sabot dans la poussière.
– Je ne vois pas pourquoi...
Jack ne l'écoutait plus. Il avait passé son bras autour du cou de l'animal et lui caressait doucement le front et les naseaux.
– Là, ma belle... Tout va bien.
– A vous voir si tendre avec un cheval, on ne peut que regretter que vous soyez incapable de vous montrer aussi démonstratif envers un être humain ! A moins que vous ne sortiez le grand jeu qu'à vos innombrables conquêtes ?
– Vous ne devriez pas mépriser les chevaux, déclara Jack. Ils ont leur sensibilité.
– Ben voyons ...
– Monter sur un cheval n'est pas conduire une voiture. Vous devez créer un lien entre vous et votre monture... Un cheval a son identité et sa volonté propre. S'il ne veut pas que vous le montiez, vous ne le monterez pas.
Ce furent les dernières paroles que Jack O'Bryan prononça de la journée.
***
– Je peux vous aider ?
Moïra O'Bryan leva les yeux de son tas de pommes de terre et les rebaissa aussitôt.
– Ça ira, merci.
Maddie hésita à tourner les talons mais se ravisa.
– Cette cuisine est magnifique ! Elle paraît tellement ancienne ! On s'attend à ce que Davy Crocket entre pour se préparer un bon petit plat.
– Davy Crocket n'a jamais mis les pieds ici, grogna Moïra. Vous n'êtes pas dans un film hollywoodien !
– Vous ne m'aimez pas, n'est-ce pas ?
– Non.
– Pourquoi ?
– Je connais les filles de votre espèce…Vous pensez qu'Hollywood est le seul endroit civilisé qui existe sur Terre !
– Vous n'aimez pas le cinéma ?
– Je n'aime pas ce que vous et vos semblables avez fait à mon fils.
– Comment ça ?
– Soyez gentille et retournez vous faire les ongles un peu plus loin, j'ai du travail.
Maddie tourna les talons brusquement, excédée. Elle n'allait pas supplier cette bonne femme de lui laisser faire une vaisselle ! Si elle ne voulait pas de sa compagnie, ça lui convenait tout-à-fait !
Le film de Ferrera était ce que sa carrière attendait depuis toujours : elle n'allait pas tout gâcher à cause de ces rustres ! Elle allait maintenir une distance polie, apprendre à tenir assise sur ce satané canasson, décrocher ce fichu Oscar et cette grotesque aventure ne serait plus qu'un mauvais souvenir !
***
Maddie continuait sa visite en solitaire. Le domaine était immense. Elle avait traversé une plaine et voilà qu'elle arrivait à une forêt. Un bois, plutôt.
Des oiseaux chantaient et la température était presque supportable. Maddie devinait que l'on devait même trouver du gibier par ici. Un petit coin de paradis au milieu du désert. Comment une chose pareille était-elle possible ?
Le bois s'arrêtait contre la paroi abrupte d'une montagne couleur ocre comme celle qu'ils avaient dû traverser pour arriver jusqu'au ranch.
Elle essaya de se repérer : elle avait aperçu le Baldy Peak au loin avant d'arriver mais il était désormais invisible, caché par le cirque de montagne dont le domaine était entouré. Dans ce bois, la jeune femme se sentit soudain plus isolée du monde que jamais.
Un craquement lui fit tourner la tête et elle sursauta. Quelqu'un l'épiait, elle en aurait mis sa main à couper.
– Qui est là ? Pourquoi vous cachez-vous ?
Des bruits de pas précipités se firent entendre. L'intrus était parti. Peu rassurée, Maddie continua son exploration.
Elle entendit soudain des cris de joie. Les enfants jouaient dans une vieille cabane construite au sommet d'un arbre. Billy, Mitsy et Vicky arrêtèrent leur jeu en l'entendant arriver.
– Non... n'arrêtez pas pour moi, supplia Maddie. Qu'est-ce que vous faites ?
– Je suis un cow-boy dans le fort de Buckbridge, expliqua Billy. Vicky et Mitsy sont des indiens qui m’attaquent.
– Ça a l'air d'être un jeu très chouette, remarqua Maddie, le sourire aux lèvres.
– Mouais, reconnut Billy. C'est vrai que tu viens de la ville ?
– D'une ville. De Los Angeles. Tu connais ?
– Je vais souvent à Buckbridge, répondit Billy. Tu y es déjà allée ?
Maddie fit non de la tête.
– C'est là que nous allons à l'école. C'est chouette : il y a même un cinéma ! Mais on doit traverser le désert pour y arriver, à cheval !
– A cheval ? Pourquoi pas en voiture ?
– Parce que si on y va en voiture, il faut rejoindre la route et ça prend plus de 4 heures ! Mais traverser le désert, c'est vachement dangereux.
–Comment ça ?
– Un jour, le cheval d'Oncle Jack a trébuché. Oncle Jack est tombé sur la tête et a perdu connaissance. Heureusement Oncle Trévor l'a retrouvé et ramené sur son cheval. Oncle Jack a été très malade après ça.
– Quelle aventure ! s'exclama Maddie. Traverser le désert pour aller à l'école !
– Ouaip, dit Billy avec fierté. Il faut faire attention aux serpents à sonnettes, aux coyotes, aux pumas, aux scorpions, aux araignées, aux lynx...
– C'est impressionnant ! apprécia Maddie.
Non loin de là, juché sur un apoloosa tricolore, une plume d'aigle glissée dans sa chevelure noire, un homme l'observait.
***
– Il y a très longtemps, notre tribu avait sa terre qui répondait à ses besoins propres mais un jour, nous avons été chassés vers le sud, loin de nos montagnes, par une autre tribu. Nous nous sommes installés ici, sur les terres d’Ichiwa non loin du fief Apache et nous vivions en paix. Mais un jour, ils sont arrivés par la mer.
– Qui ça, O'pa ? demanda Karshak.
Près de lui, Pathoum n'en perdait pas une miette.
Les deux frères adoraient ces longs moments passés sous le wigwam du chef, assis sur une couverture de laine, près d'un grand feu.
Lors de ces moments, leur grand-père faisait revivre pour eux et les douze autres enfants du campement une époque lointaine peuplée de héros et de combats, au pied des glaciers des lointaines terres, sur les grandes plaines ou ici, près des gardiens de pierre.
– Les autres. Les hommes blancs. Ils sont venus de plus en plus nombreux, avec des armes et des chevaux...
– Mais on a des chevaux, nous aussi ! protesta Pathoum.
– Nos ancêtres n'en avaient pas. Ce sont les blancs qui les ont ramenés de leur terre de l'autre côté de la mer. Certains se sont enfuis et sont redevenus sauvages… Nous les avons récupérés. Les Apaches et bien d’autres en ont fait autant. Un beau cadeau des Blancs. Pour le reste… Avant leur arrivée, les tribus étaient multiples et nous pouvions chevaucher librement jusqu’aux plaines du Black Hill. Et puis les Blancs ont apporté avec eux des animaux et de nouvelles maladies… Et il y a eu des guerres… Les guerres indiennes. Mon grand-père y était.
– Indiennes ?
– C’est ainsi que les hommes blancs nous appellent.
–Mais nous sommes des L’Ne !
– Les Indiens sont le nom que les blancs donnent aux Apaches, Lakotas, Crows, Cheyennes, Sioux...
– Mais nous ne sommes pas des Sioux ou des Cheyennes ! protesta Karshak.
– Non, mais pour un Blanc, c'est la même chose. On est tous pareils. On n'est pas des Blancs.
– Avant les Blancs, on pouvait vraiment chevaucher plus loin que maintenant ? demanda Pathoum.
– Bien sûr ! On pouvait aller jusqu'à l'antre du Soleil si on voulait !
– Allons-y ! s'écria Karshak.
Le vieil homme eut un regard d'une infinie tristesse :
– Non. Vous ne devez jamais sortir de l'enceinte des Terres d'Ichiwa, ni vous aventurer dans les Bois sacrés.
– Pourquoi ? demanda Karshak.
– Ailleurs, le démon Blanc a dévoré notre monde. Il ne doit jamais savoir que vous êtes ici. Sinon, nous disparaîtrons, nous aussi.
***
Dans l'étable, Trévor, John et William tenaient un véritable conseil de guerre.
– Bon sang ! Mais qu'est-ce qu'il lui a pris de nous ramener cette fille de la ville ? Il n'en rate jamais une !
– Ça va, Trévor, Jack n'a rien fait de bien dérangeant ces dix dernières années ! intervint William.
– Tu es toujours en train de le défendre ! Il a fait une boulette, reconnais-le, au moins !
–William a raison. Des erreurs, on en fait tous !
–Et Baby Jack plus que les autres ! mais on s'en fout, parce que c'est le petit chéri de tout le monde !
–Arrête ça, Trévor, tu es ridicule !
– Il va mettre des siècles d'efforts par terre ! s'irrita Trévor. Ça ne dérange personne à part moi ?
– Évidemment ! gronda William. Mais si on ne dit rien, elle ne saura rien.
– Et tu crois qu'on va arriver à cacher ça pendant des mois ?
– Il n'y a pas de raison qu'on crache le morceau.
– Et si Crazy Jack refait surface ?
– Jack n'a aucune raison de lui en parler. Et dans son état, je ne le vois pas parler de quoi que ce soit.
–Les Bringers ne vont en faire qu'une bouchée...
– Il va falloir le protéger, décida William. Et il faut parler le moins possible à cette fille.
– Et tu crois que ça suffira ? Je l'ai vue inspecter les moindres recoins de l'écurie, tout-à-l ’heure !
– De quoi as-tu as peur, Trévor ? Qu'elle découvre nos plus noirs secrets sous une botte de paille ?
– Vas-y, rigole ! s'irrita Trévor. On est dans la mouise la plus totale ! Si ça se sait, c'est la fin du pacte ! Il faut qu'ils repartent au plus vite ! Je ne vois que ça !
– S'il repart, Jack sera ruiné et endetté jusqu'au cou pour les cent prochaines années !
–Ça vaut peut-être mieux !
–Pour qui ? Pas pour lui, en tout cas ! s'exclama John, ulcéré. On est une famille, Trévor. Et on ne laisse personne sur le bord de la route ! Il nous a quittés une fois, on voit ce que ça a donné !
– Ouais, ironisa Trévor, il est devenu riche et célèbre ! Sortez les mouchoirs !
Il se tut sous les regards courroucés de ses deux frères :
– Mouais... Il pourrait aller mieux, reconnut-il.
***
– Eh, Can', un autre verre ?
Canyon Bringers jeta un coup d’œil au barman qui, comme à l'accoutumée, essayait de le pousser à la consommation. D'habitude, il savait s'arrêter avant d'être ivre : Debbie détestait le voir boire et il n'aimait pas lui faire de la peine. Mais ce soir, il devait oublier.
Le monstre était revenu. La peur, la haine refaisaient surface avec lui.
Il jeta un coup d’œil machinal à la grande salle tapissée de miroirs et de marqueterie qui lui faisait face.
Rien n'avait changé depuis sa construction en 1860, lorsque la ville avait été construite par les premiers colons. Une ville champignon construite à la va-vite autour de... Quoi, au juste ? De soi-disant gisements d'or qu'on n'avait jamais trouvés... Quelques mauvaises terres avaient permis de créer quelques ranches, de cultiver quelques légumes... Pas de quoi faire fortune mais se nourrir, tout juste...
Canyon s'était toujours demandé comment un trou aussi paumé et misérable que Buckbridge pouvait encore exister... Il y a longtemps que cette ville aurait dû devenir une ville fantôme comme tant d'autres que l'on trouvait encore dans l'Ouest, au bout d'une route désaffectée poussiéreuse...
Pour Canyon, Buckbridge, depuis toujours, était l'antichambre de l'enfer...
Il vida son verre, le front moite et glacé. Travis avait raison. Et Travis avait disparu.
Lennister n'avait pas les épaules suffisantes pour protéger le clan. Ils ne pouvaient pas reculer. Ils devaient débarrasser la surface de la terre de ce monstre. Il n'était pas au mieux de sa forme... C'était le moment ou jamais...
Il crut entendre la voix de Debbie lui reprochant de se focaliser encore sur ces vieilles histoires... Elle ne pouvait pas savoir... Lui savait. Et cette fois, ils iraient jusqu'au bout.
***
Maddie s'ennuyait ferme. Jack était occupé à soigner ses chevaux, le reste de la famille l'ignorait...
– Bah, prends ça comme un séjour à la campagne, après tout, on ne voit pas ça tous les jours.
Ça, c'était une immense plaine herbeuse cuivrée dans la lumière du couchant et changeante sous le vent. Et au milieu coulait une rivière. Une très grosse rivière. Tumultueuse et mugissante. Maddie en resta bouche bée.
– Comment peut-on avoir une rivière ici ? Le cours d'eau le plus proche est la White River... A des dizaines de kilomètres...
Elle remonta le courant du regard. L'eau paraissait sortir de nulle part, jaillissant à gros bouillons d'une énorme motte de terre herbue consolidée par un énorme mur de pierre qui se prolongeait par un immense lit de pierre soigneusement ajustées sur plusieurs dizaines de mètres. Après avoir passé cet ingénieux dispositif, la rivière continuait son cours de manière naturelle.
Maddie comprit :
– Ils ont mis à jour une rivière souterraine !
Elle resta confondue devant l'ampleur de la tâche. A en juger par la verdure environnante et la mousse qui verdissait les minéraux savamment disposés, les travaux devaient remonter à des siècles... A une époque où le désert s'étendait ici comme partout ailleurs...
Maddie secoua la tête : quel homme est assez fou pour se balader dans le désert, une pioche sur l'épaule en attendant de trouver une rivière ? Combien de temps avait-il dû chercher ? A combien de profondeur avait-il dû creuser ? Et combien de temps fallait-il pour dessiner le lit d'une rivière artificielle ? Cet endroit était un paradis mais à quel prix ?
Vu de l'extérieur, le ranch ne paraissait pas plus fertile que les autres domaines de la région... Mais les étrangers n'étaient pas les bienvenus... Le bien le plus recherché du coin, l'enjeu suprême était l'eau, si rare et si précieuse. Certains tueraient pour posséder un domaine pareil !
Maddie comprit :
– Personne n'est au courant. C'est pour cela qu'il m'a fait jurer de ne rien dire !
Des éclats de voix la ramenèrent à la réalité :
– Billy, attends un peu !
– A toi, Mitsy !
Maddie sourit et s'assit en retrait de manière à ne pas être vue. Les enfants jouaient joyeusement sur la rive caillouteuse.
– On doit attraper les bâtons qui passent devant nous, décida Mitsy.
Les trois enfants se mirent joyeusement à l'ouvrage, interceptant avec entrain les brindilles emportées par le courant.
Billy et Mitsy avaient déjà les bras chargés de leur butin. Seule la petite Vicky regardait avec dépit les autres s'emparer de tous les bâtonnets disponibles.
Elle avisa plusieurs bouts de bois qui flottaient un peu plus loin et s'avança dans l'eau pour les attraper. Maddie sentit une profonde terreur l'envahir. Elle fonça sans réfléchir vers la rivière. Elle arrivait près de la rive lorsque la petite perdit pied et hurla avant d'être emportée par le courant. Affolé, Billy cherchait une branche pour arrêter sa course. Mitsy appelait à l'aide, paniquée.
Maddie s'était jetée à l'eau et tentait de nager vers Vicky malgré le violent courant qui ne cessait de dévier sa trajectoire. Elle la voyait à quelques mètres d'elle, hurlant. Sa chevelure rousse apparaissait et disparaissait au gré des flots tumultueux.
Maddie, épuisée, rassembla ses forces et réussit à agripper la fillette et à la serrer contre elle. Sa tête heurta soudain un rocher avec violence. A demi-sonnée, elle s'y cramponna de toutes ses forces, luttant pour ne pas perdre connaissance et surtout pour ne pas lâcher la fillette. Cette dernière ne bougeait plus, terrifiée. Maddie sentit une substance poisseuse couler dans son cou. Du sang. L'envie de s'abandonner aux flots devenait de plus en plus forte. Ses muscles douloureux menaçaient de se relâcher à tout moment... C'était une question de minutes...
Une poigne solide l’attrapa.
Elle aperçut vaguement Jack qui nouait une corde autour de sa taille et de celle de Vicky. Un autre homme attachait la corde à la selle d'un apoloosa tricolore. Maddie eut le temps de noter son torse nu musclé et ses longs cheveux noirs flottants au vent avant de perdre connaissance.
***
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