Allo, père Noël

La nuit était limpide, glacée. La froide clarté des étoiles enveloppait la ville enneigée d'un manteau de mystère.

Le regard perdu tourné vers le ciel, Harry Shoup songeait à la fête qui devait se dérouler chez lui à ce moment même.

Ses enfants devaient passer à table. Son épouse avait dû poser sa légendaire dinde truffée sur la table et on avait dû chanter des chants de Noël.

Évidemment, il aurait préféré être chez lui mais il fallait bien que quelqu'un veille à la sécurité de tous ces foyers paisibles fêtant Noël. C'est pour cela qu'il assurait ce soir la permanence du CONAD, du commandement de la défense aérienne continentale.

Il avait choisi d'être une de ces sentinelles qui montaient la garde pour que les autres puissent s'amuser.

Harry Shoup s'y sentait à sa place : dix ans auparavant, il montait la garde pour protéger ses concitoyens contre les armées de l'alliance et était sorti grandi de cet effrayant conflit mondial qui avait éprouvé tant de gens.

A présent, il veillait de même afin que l'URSS ne profite pas d'une nuit de fête pour passer à l'attaque.

Harry jeta un coup d’œil ensommeillé à son écran et à ses subalternes qui fixaient de même leur console, scrutant l'immensité à l'affût du moindre bruit suspect.

Harry se détendit : ce n'était qu'un soirée de routine. Combien de chances pour que les russes choisissent ce soir pour passer à l'offensive...? Et combien de chances pour qu'un habitant du Kremlin décide de tenter une invasion sans une déclaration au préalable ?

La guerre avait des règles et tant que ce téléphone ne sonnerait pas...

A ce moment, le bloc de bakelite qu'il fixait depuis 5 minutes fut pris de folie. La sonnerie mécanique stridente brisa le silence et la quiétude de l'assistance.

Le cœur battant la chamade, les mains moites, le colonel décrocha le combiné d'une main tremblante malgré ses efforts pour garder son calme.

-CONAD, colonel Harry Shoup, j''écoute...

-Allo, je peux parler au père Noël ?

Harry se figea, interloqué. Un regard à ses hommes lui confirma qu'il partageait son étonnement. C'était un canular ? Une mauvaise farce ?

-Euh... Qui tu es, toi?

La voix étonnamment juvénile lui répondit avec entrain :

-Amélia Ophelia Connely, j'habite au 27th Granny street, Colorado Springs, Etats-Unis. Mais vous le savez déjà, non?

Harry commençait à comprendre :

-Et comment as-tu eu ce numéro ? Il est top secret...

La fillette pouffa:

-Secret ? Il fallait dire au grand magasin Freir de pas le donner à tout le monde, alors...

Shoup masque le combiné:

-Walters, passez un coup de fil au magasin et renseignez-vous.

L'homme obtempéra:

-Oui, mon colonel.

A l'autre bout du fil; la fillette s'impatientait :

-Alors ? Je peux lui parler ?

L'aspirant Rogers lui chuchota:

-Colonel... On lui dit qu'elle s'est trompée?

-On a plusieurs lignes... En cas d'attaque, on sera averti de toute manière...

-Mais...

-Vous avez un enfant ?

-Oui, mais...

-Vous pourriez lui faire une déception pareille le soir de Noël ?

-Non.

-Alors... Non, tu ne peux pas lui parler...

-Pourquoi? C'est pas le numéro du père Noël ?

-Il est parti en tournée. Ce soir, c'est Noël...

-Et vous êtes les lutins qui fabriquez les cadeaux ?

-Ce soir, on surveille son parcours...

-Vrai? Il est où en ce moment ?

Harry se tourna vers Gunter. Ce dernier sourit :

-Conad 56 à Air546, Conad 56 à Air546...

Une voix incertaine couverte de grésillements se fit entendre:

-Air456 à Conad 56... J'écoute...

-Vous avez le père Noël en lucarne? Il suit toujours la bonne route? Le cacatoès est bleu.

A ces mots, l'homme se détendit et sourit. Le cacatoès était le signal règlementaire pour préciser que le message n'était pas sérieux.

-Le père Noël ? Ouais... Je l'ai en visuel... On survole le Maryland...

-Merci, Air456.

-Pas de problème, joyeux Noël.

A ce moment, Walters raccrocha :

-Colonel... J'ai eu le gérant. Ils se sont plantés dans le numéro de téléphone de leur service publicitaire : "Je téléphone au père Noël". D'ailleurs, ils étaient étonnés de n'avoir personne. On fait quoi ?

Le colonel secoua la tête, amusé :

-Que voulez-vous qu'on fasse ? On accepte la mission. "

A ce moment le téléphone se remit à sonner.

Cette nuit-là, les enfants de Colorado Springs purent suivre le Père Noël dans sa tournée en temps réel et apprendre moultes détails sur la vie de leur idole par la bouche de lutins aussi sérieux que serviables.

Le colonel Harry Shoup tint à perpétrer cette nouvelle tradition et chaque année, de plus en plus d'enfants téléphonèrent au CONAD , puis au NORAD, lorsque l'organisme changea de nom.

Le colonel Shoup fut souvent salué pour sa carrière militaire et ses haut-faits guerriers mais sa plus grande fierté fut d'avoir instauré cette tradition qui fait que, 60 ans plus tard, des millions d'enfants du monde entier continuent à appeler et alimentent ainsi la magie de Noël.


 

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